Quand on se trouve dans les environs du lac Inle, dans le centre du Myanmar, il y a deux choses à ne pas manquer : le lever et le coucher du soleil.
Sue Wei, Amri et moi nous levons à quatre heures ce matin là. Il fait frais. Notre premier objectif est de dénicher le meilleur endroit afin d’admirer l’astre solaire s’éveiller. Pour cela rien de mieux que de louer des vélos à la Four Sister’s Guest House, dans la petite ville de Nyaung Shwe, où nous avons sympathisé la veille. La Four Sister’s est située en périphérie de la ville. Les rues ne sont pas goudronnée en périphérie des villes. Le chemin est parsemé de trous, mais il ne fait déjà plus nuit noire. Nous traversons un premier petit village. Derrière les murs érigés en bord du chemin, la journée commence. Les femmes sont aux cuisines et les hommes se préparent à partir, fument leur première cigarette en regardant notre peloton matinal.
Le chemin est désormais trop étroit pour qu’une voiture l’emprunte. Le deuxième village est dissimulé dans un bosquet d’arbres et de bambous. Le calme d’il y a vingt minutes laisse place aux bruits de la vie. Des hommes coupent du bois, des femmes tissent des parois en lamelles de bambous, les enfants s’amusent, en vélo ou avec les poules qui errent dans les rues.
Nous voilà en train de circuler sur les talus séparant les rizières. La brume du matin s’ajoute à l’ambiance mystique du lieu. Le soleil ne tardera pas à franchir la colline qui nous sépare de lui. Nous nous précipitons vers lui comme s’il se levait pour la dernière fois et nous arrêtons au moment même où le premier de ses rayons nous atteint. La végétation environnante révèle ses teintes vives et son feuillage laisse de longues et minces traînées d’ombre dans l’air. Le monde qui nous entoure s’active enfin.
Voilà plus d’une heure que nous sommes partis, et pourtant, la journée commence à peine. En continuant notre sentier nous rejoignons un chemin, puis une route.
La silhouette d’un temple se dessine plus loin. Juste devant, les habitants d’une maison en bambous vendent de petits paquets de biscuits et proposent surtout du coffee mix, le café soluble apprécié des birmans. Boisson au premier bord peu attirante mais qui sait se faire apprécier avec le temps – et l’absence d’autres options.
Mes nouveaux amis décident de rentrer vers l’auberge et m’indiquent le chemin à prendre afin de rejoindre Maing Thauk, un village bâti à la fois sur la terre ferme et l’eau. Maing Thauk fut autrefois un fort anglais, dont les seules traces restantes de la colonisation sont des pierres tombales.
Je pédale une petite heure avant d’apercevoir le premier panneau indiquant la direction du village. Celui-ci est littéralement coupé en deux. La première partie, celle dans laquelle j’arrive, est bien sur terre, entourée de champs arides et coupée par la route. Je ne m’y attarde pas. Je me dirige vers un petit groupe de locaux, afin de leur demander la direction à prendre pour rejoindre la partie lacustre du village. Je n’ai même pas le temps d’ouvrir la bouche que l’un d’entre eux me pointe une direction, les touristes à la recherche du village, on en voit tout les jours ici.
Une centaine de mètres plus loin la terre ferme laisse place à un marécage, puis au lac. Le chemin se transforme alors en une longue passerelle de bois de cinq cents mètres, ponctuée de minuscules abris en bois.
Avant même de monter sur la passerelle je rencontre Theingi.
Theingi traverse le lac plusieurs fois par jours avec sa pirogue pour échanger des biens. Depuis peu, il transporte plus de touristes que de produits à échanger ou vendre. Il propose ainsi aux étrangers en visite de traverser avec lui, moyennant rémunération.
Il me propose de garder mon vélo dans sa pirogue pendant que je visite le village. Arrivé au bout de la passerelle je me rends compte qu’il va être difficile de le faire à pied. En effet, le seul moyen de locomotion après la passerelle, c’est le bateau. Heureusement, Theingi arrive, mon vélo en travers de sa pirogue. Je monte et la visite commence. D’habitude, il ne fait pas visiter le village, mais nous devons attendre un de ses amis pour traverser. Cela nous laisse quelques minutes pour naviguer au milieu de la centaine de maisons qui composent Maing Thauk.
Celle-ci sont construites sur des pilotis de bambous. Il est difficile d’avoir une idée de leurs hauteurs. En Avril, le niveau d’eau du lac est très bas et les pilotis portent les maisons de deux à quatre mètres au dessus. Les bambous présents dans le sud-est asiatique, mais aussi en Inde ou au Népal, ne ressemblent en rien à nos bambous frêles et fragiles. Les sections des porteurs atteignent ici dix à quinze centimètres de diamètre. De plus petites sections sont utilisées en contreventements ou en charpente, qui portent des couvertures en tôle légères. Les assemblages se font grâce à une technique similaire au tenons et mortaises que nous connaissons, renforcés par des liens. Ces liens peuvent être des filaments de bambous ou simplement des cordes, fabriquées à partir de végétaux locaux. On accède à l’intérieur par des escaliers, qui ressemblent plus à des échelles obliques d’un point de vue occidental, en bambous. Sur ces pilotis reposent un plancher dont les poutres, des bambous de grosses sections sont disposés dans le sens longitudinale de la maison et dont les lambourdes, perpendiculaires aux poutres sont des bambous de plus petites sections.
Il fait rarement moins de 20°C au Myanmar. Il est donc plus important de s’isoler de la chaleur plutôt que du froid. Les parois remplissent ce rôle. Elles sont elles aussi fois composées à base de bambous. J’ai pu assister à la fabrication d’une d’entre elle un peu plus tard, à Mandalay. Le principe est simple et peut être retrouvé ailleurs en Asie du Sud-Est.
Il faut «éplucher» le bambou dans sa longueur afin d’obtenir de fines et souples lamelles de quatre ou cinq centimètres de large.
On commence par fendre le bambou, coupé fraîchement et donc très souple.
Parallèlement, on construit un cadre en bois contre-venté et léger. Les lamelles de bambous sont ensuite tressées, à plat au sol. Cette tache nécessite le travail de deux ouvriers travaillant sur la même nappe de tressage. Le tressage est ensuite fixé au cadre et prêt à être posé. Ces parois ne sont pas étanches. Elle permettent à l’air de circuler au travers de l’habitat et ainsi de le rafraîchir. Le toit, qui dépasse largement des parois, assure l’étanchéité à l’eau.
Le processus de mise en œuvre de ses maisons est aussi lié au climat. On commence en effet par monter la structure complète. Puis la couverture, souvent des plaques de tôles ondulées liées au faîtage par une bâche ou un autre type de textile plastique maintenu par des lamelles de bambous. Cela permet ensuite de travailler à l’ombre.
Maing Thauk est hors du temps. Les cultures sur l’eau alimentent le village et les environs du lacs. On y cultive principalement des tomates et du riz. Le tout avec des pirogues, aujourd’hui dotées de puissants moteurs. Le rapport à l’eau est aussi particulier, les enfants dirigent ces embarcations dès le plus jeune âge pour se rendre sur terre ou aller pécher.
Le lac Inle est toujours le lieu de vie d’une ancienne tribu de pécheurs birmans, les Inthas, à la technique de pêche particulière. Debout sur le nez de leurs pirogues, autrefois taillées d’un seul tronc d’arbres, les pêcheurs jetaient leurs filets d’une main tout en maniant la rame de leur main libre, en s’aidant d’une jambe. En enveloppant la rame de leur jambe et d’un mouvement de bassin, ils pouvaient alors se rapprocher du filet pour le sortir de l’eau. Cette technique se perd aujourd’hui avec l’arrivée massive de touristes. La pêche est maintenant une activité secondaire, bien moins rentable que les services vendus au étrangers.
Toujours dans la pirogue de Theingi, nous patientons un peu plus entre les pilotis d’une maison donnant sur la voie principale. Un homme qu’il semble bien connaitre monte à l’avant et s’assoit face à moi. Vingt minutes plus tard, nous sommes sur la rive Ouest du lac.
– Vincent BAISNEE –
Voyage effectué en 2014-2015, séjour au Myanmar en Avril 2015
Bibliographie :
Matras-Troubetzkoy J. (1983) Un village en forêt. L’essartage chez les Brou du Cambodge. Série «Asie et Monde Insulindien» – 429p
ORWELL Georges (1934) Burmese days . Edition Harper & Brothers – 300p