Aux portes de la Méditerranée, la Cité Phocéenne vieille de 2600 ans a su conserver des traces des différentes époques traversées, depuis les vestiges romains jusqu’aux immeubles les plus récents.

Nul besoin de visiter des musées pour connaître la ville. La richesse de Marseille et toute son histoire s’offrent à qui veut bien prendre le temps de se balader dans la ville et lever les yeux. Cet article propose ainsi une promenade au fil des siècles, éclairée par les connaissances d’une marseillaise et de son grand-père.

Quelques données du parcours 

  • Tracé du parcours

    Tracé du parcours

    4 monuments : l’abbaye Saint-Victor, la Vieille Charité, le Fort Saint-Jean et le Mucem

  • 3h de promenade
  • 2,5 km
  • budget : 2€

 

 

PREMIER MONUMENT : l’abbaye Saint-Victor

Par une belle journée (semi) ensoleillée, la promenade commence au Ve s., à l’abbaye Saint-Victor.

Aux allures de château fortifié, cet édifice interpelle. Depuis l’extérieur, il est difficile de se douter que derrière ces remparts, une abbaye se cache. En regardant rapidement la façade, l’utilisation du même calcaire rose de La Couronne et l’aspect continu laissent à croire que l’ensemble du bâtiment date du XIIe siècle. C’est en faisant le tour par l’extérieur que l’on peut remarquer certains indices, certaines traces de bâtiments qui ont aujourd’hui disparu : des morceaux de voûtes, des sarcophages et des chapiteaux sont présents sur la face Est. On commence donc à comprendre que cet édifice cache peut être une histoire beaucoup plus ancienne.

Si l’intérieur de l’abbaye ne semble pas nous révéler plus d’indices sur l’histoire du site, c’est en visitant la Crypte que tout devient plus clair : l’abbaye Saint Victor englobe entièrement une église paléochrétienne du Ve siècle, conservée dans les cryptes de l’édifice.

C’est à ce moment que les explications de mon grand père viennent m’aider à retracer l’histoire de cette étonnante abbaye au cœur  de Marseille.

De l’époque grecque à l’antiquité tardive (IIIe siècle), le site était une carrière. Ce n’est qu’au milieu du Ve siècle que le premier établissement chrétien et l’ensemble des bâtiments monastiques qui l’entouraient furent construits, en marge d’une nécropole. Orientée Nord/Sud, la basilique paléochrétienne est positionnée de façon transversale par rapport à l’abbaye du XIIe siècle que est, elle, orientée Est/Ouest.

Au XIIe siècle, l’évêque de Marseille alors devenu Pape, finança l’actuelle abbaye Saint-Victor. Situé en dehors des remparts de la ville, l’édifice est fortifié pour faire face aux éventuelles menaces. A ce titre, les vitraux ont laissé place à d’épais murs aveugles percés par quelques meurtrières, des tours ont été montées et la base des murs extérieurs est inclinée afin de pouvoir faire rebondir les projectiles sur les assaillants.

Aujourd’hui, la crypte, constituée de la chapelle Saint-André et des vestiges de la basilique paléochrétienne, est devenue un lieu de pèlerinage pour les Marseillais.

En sortant de l’abbaye, s’offre à nous une vue panoramique sur le Vieux Port de Marseille et sur le reste de notre visite : le quartier du Panier, la Vieille Charité, le fort Saint-Jean et le Mucem.

Vue depuis l'esplanade de l'Abbaye Saint-Victor

Vue depuis l’esplanade de l’Abbaye Saint-Victor

Après la traversée du Vieux Port sur le mythique Ferry Boat, petite navette gratuite reliant les deux rives du port, nous arrivons devant la Mairie, bâtie au XVIIe siècle par Puget. Nous prenons ensuite la montée des accoules, au cœur du quartier historique du Panier, pour arriver jusqu’à la place des moulins, où plusieurs moulins servaient autrefois à faire de la farine grâce au mistral.

DEUXIEME MONUMENT : la Vieille Charité

Lorsque l’on découvre les bâtiments de la Vieille Charité par les petites rues latérales, les façades aux fenêtres étroites protégées par des barreaux et dépourvues de toute décoration nous donnent l’impression de nous trouver face à une prison.

La surprise est donc grande en arrivant au niveau de l’entrée principale, où l’on se retrouve face à la coupole ovoïde d’une grande chapelle de style baroque romain au milieu d’une grande cour quadrangulaire encadrée d’allées ouvertes sur de larges voûtes de plein cintre de style classique.

Si aujourd’hui la Vieille Charité est un centre culturel qui regroupe salles d’expositions, café, librairie et laboratoires de recherche, c’était au XVIIe siècle l’Hospice de la Charité, centre de détention pour les pauvres et les mendiants de la ville, alors très nombreux dans les rues de Marseille. Ce lieu d’enfermement et de travail forcé avait pour but d’assurer la rééducation et la réinsertion des pensionnaires ; ce qui explique ainsi l’allure de prison des façades extérieures. Cette rééducation par le travail est aussi complétée par la prière et l’assistance aux offices de culte catholique. Pour cela, Pierre Puget fut choisi pour l’édification d’une chapelle dans la cour de l’hospice, dont il avait également dessiné les plans en 1671.

Son plan initial fut jugé trop grandiose car il avait prévu qu’une nef vienne compléter le chœur couronné par la coupole afin de contenir les nombreux participants aux offices tout en séparant les miséreux des recteurs et bienfaiteurs de l’oeuvre. Puget proposa alors, au lieu d’une nef, de construire un atrium de deux étages, réservé aux «personnes respectables» qui entraient par la noble porte d’entrée. Il eut ensuite la volonté de répartir les pauvres dans des annexes situées tout autour de la rotonde. Afin que les notables ne puissent pas les rencontrer, il disposa, au chevet de la chapelle, des portes qui conduisaient à tout un jeu de couloirs et d’escaliers dérobés, qui constituent les éléments les plus singuliers de l’édifice actuel.

Puget mourut en 1694, avant l’achèvement de sa chapelle. De lui, il reste surtout l’édification de l’espace interne, et plus particulièrement l’étonnante succession de formes constituant de haut en bas l’ellipse de la coupole : d’abord, le tambour ajouré par de vastes fenêtres encadrées par des pilastres doriques. Viennent ensuite une seconde corniche à modillons et une rotonde délimitées par une rangée de colonnes accouplées à des pilastres. Au nord et au sud du dôme viennent enfin s’accrocher des frontispices à fronton triangulaire.

Le reste des travaux a été confié à son fils, François Puget et s’achevèrent en 1707.  Il décida d’ajouter deux bâtiments de forme rectiligne de part et d’autre de l’abside pour permettre aux pensionnaires d’accéder par un large escalier aux tribunes et déambulatoires du 1er étage.

Le porche de la chapelle, lui, date du XIXe siècle. La façade initiale et les colonnes ioniques qui l’ornaient menaçaient de s’effondrer. Plutôt que de les restaurer, elles furent détruites et remplacées par un portique d’entrée de style néoclassique avec colonnes et pilastres corinthiens surmontés d’un fronton triangulaire.

Entrée de la Chapelle de la Vieille Charité

Entrée de la Chapelle de la Vieille Charité

Après la révolution, l’hospice n’hébergea plus les mendiants et vagabonds de la ville, mais des vieillards, des indigents et des orphelins et n’imposa plus le travail forcé ni le culte.

En 1883, l’hospice est décrété trop vétuste et l’ensemble de ses occupants sont transférés dans un autre établissement. Les dégradations sont importantes et la restauration de l’ensemble des bâtiments fut entreprise par l’Etat, le département et la ville, de 1971 à 1986.

Ce bâtiment emblématique de l’Histoire Marseillaise est aujourd’hui le témoin d’une période de ségrégation tournant le dos à notre ville qui a su se requalifier en conservant la mémoire du site tout en devenant un centre culturel aujourd’hui ouvert sur la ville et le monde.

La visite de la Vieille Charité se termine ainsi et le parcours continue en direction du fort Saint-Jean. En se promenant dans les petites ruelles du Panier, quartier authentique à la fois populaire et créatif, véritable bouillon de la culture Marseillaise, on arrive jusqu’à l’esplanade de l’Eglise Saint-Laurent, qui offre une vue sur tout le Vieux Port et constitue le point d’accès au fort Saint-Jean via une première passerelle de 70m de long.

Passerelle du Fort Saint-Jean

Passerelle du Fort Saint-Jean

TROISIEME MONUMENT : le fort Saint-Jean

En empruntant la passerelle de l’esplanade Saint-Laurent, nous arrivons à l’intérieur du fort Saint-Jean, haut lieu de l’Histoire Marseillaise.

Chemin de ronde du fort Saint-Jean

Chemin de ronde du fort Saint-Jean

Si les phocéens furent les premiers à occuper le site au VIe siècle av J.-C, ce n’est qu’au IXe siècle que l’on recense une nouvelle occupation. En effet, après les nombreuses attaques des sarrasins au VIIIe et IXe siècles, un château fut édifié afin de protéger une population Marseillaise ruinée et affaiblie. Au XIIe siècle, ce sont les militaires qui installèrent leur commanderie sous les murailles du château et firent construire le Palais du Commandeur, réputé pour être l’une des plus belles demeures de la ville au XVIIe siècle.

Dans la mémoire des Marseillais, le fort Saint-Jean est principalement connu pour avoir été le point d’attache de la fameuse chaîne du Vieux Port. l’Histoire raconte que l’implantation militaire à l’entrée du Vieux Port se voulait être stratégique afin de protéger la ville contre des invasions par la mer. A ce titre, à partir du XIIe siècle, une chaîne a été tendue à l’entrée du port, permettant aux militaires d’en contrôler l’accès. Mais le 20 novembre 1423, lorsque les troupes d’Alphonse V d’Aragon vinrent attaquer la ville, ni la chaîne ni les militaires ne purent les stopper. Accostant sur la crique des Catalans, non loin du Vieux Port, ils neutralisèrent le fort Saint-Nicolas et ouvrirent le passage du port. Après avoir pillé et saccagé la ville, ils partirent avec la chaîne du port en souvenir, en trophée de guerre et marquèrent ainsi l’Histoire de la ville et le coeur des Marseillais. Aujourd’hui, la chaîne est encore accrochée sur les murs de la cathédrale de Valence.

Si cette partie de l’histoire de Marseille peut paraître presque banale – une invasion parmi tant d’autres – elle fait réellement partie de ce patrimoine transmis de générations en générations, conté à la manière d’une folle épopée et que les Marseillais écoutent, captivés, dès leur plus jeune âge.

La configuration actuelle du fort est due à l’intervention de Louis XIV en personne, qui avait fait le déplacement en 1660 suite aux rebellions des Marseillais les cinq précédentes années. Si les remparts sont érigés afin de mieux protéger la ville des menaces extérieures, nous pouvons noter que certains canons étaient également dirigés vers le centre ville, en cas de nouvelle révolte du peuple Marseillais.

Après ce point sur l’histoire du fort, l’heure est à la promenade à travers les chemins de ronde et autres petits passages offrant une vue imprenable tant sur la rade de Marseille que sur le large.

Chemin de ronde du fort Saint-Jean

Chemin de ronde du fort Saint-Jean

C’est ensuite par la place d’armes que nous accédons à la deuxième passerelle de 115m de long, menant directement au toit du Mucem. Nous nous arrêtons un moment au milieu de celle-ci, contemplant le nouveau visage de Marseille, mêlant patrimoines historique et contemporain : la cathédrale de la Major, le Mucem de Ricciotti, la villa Méditerranée, plus grand porte à faux d’Europe, et la tour CMA-CGM de Zaha Hadid.

Quatrième monument : le Mucem, Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée

C’est dans le cadre de la nomination de Marseille au titre de Capitale Européenne de la Culture 2013, que le Mucem fut construit sur la place du J4, à côté du fort Saint-Jean.

Initialement situé à Paris, la délocalisation du musée a été accordée en 2000 par Jacques Chirac, mais ce n’est qu’en 2002 que le gouvernement Jospin officialise le projet. Il faudra attendre encore deux années supplémentaires pour que Rudy Ricciotti soit désigné pour construire le musée. Cependant, l’Etat reste frileux sur le financement de ce projet, estimé à l’époque de 100 millions d’euros. Mais si celui-ci reste figé durant de longues années, les prix, eux, ne cessent de grimper, et atteignent aujourd’hui 175 millions d’euros. Ce n’est que la désignation de Marseille capitale européenne de la culture 2013 qui décida enfin l’Etat à lancer la construction du musée. Mais là encore, il faudra attendre un an et demi avant de lancer les travaux, et pour cause, le projet est au centre d’une grande controverse et beaucoup assurent que seul Paris a la carrure pour héberger un musée national… Aujourd’hui, Marseille a su attiser ces médisances et montre fièrement son nouveau visage, celui d’une ville rayonnante et dynamique, dont le Mucem est devenu l’emblème.

Après cet aparté sur l’histoire du projet, revenons à la visite du site.
S’il est possible d’accéder au bâtiment par le rez-de-chaussée, c’est le passage par le fort Sain-Jean qui amène sur le toit du musée qui rend le mieux compte de l’élégance et de la finesse du bâtiment.

Le maillage de béton haute performance qui entoure le bâtiment amène une protection solaire mais joue également le rôle de filtre visuel, à travers lequel on peut voir la mer ou le fort Saint-Jean, sublimant ainsi le paysage.

Terrasse du Mucem

Terrasse du Mucem

Si le motif imaginé par Ricciotti provient du dessin du sol rocheux que l’on peut trouver au fond de la mer, l’imaginaire des visiteurs est sollicité et certains y voient des moucharabieh, d’autres le dessin des joints des murs de pierre, ou encore une reprise de la peinture de l’Estaque faite par Cézanne.

C’est donc un bâtiment poreux et marqué de fragilité que Rudy Ricciotti a créé, en réponse à un environnement entièrement ouvert sur la méditerrannée.

De la toiture-terrasse, deux rampes entrelacées entre maillage et salles d’expositions, font tout le tour de ce carré parfait de 72m de côté. Caractérisée de respiration démuséifiante sous l’odeur de l’iode, cette faille propose ainsi une alternative au cheminement intérieur entre les salles d’exposition. C’est là un véritable « voyage de la Terre vers le Ciel, de la mer vers le soleil » (Rudy Ricciotti)

Rampe du Mucem

Rampe du Mucem

Le musée repose sur une série de poteaux de béton, tous différents et évoquant la forme des arbres, comme dessinés à la main.

Structure du Mucem

Structure du Mucem

La succession des passerelles autour du fort Saint Jean a vocation de faire du Mucem non pas un objet architectural mais un territoire, reliant la mer Méditerranée au quartier historique du Panier, en passant par le fort Saint-Jean.

C’est donc face à la Méditerranée que notre promenade architecturale au cœur de l’Histoire de Marseille se termine.

Nejma BLACHE

Voyage du 8 novembre 2015

 

BIBLIOGRAPHIE

– FIXOT Michel, BERTRAND Regis, GUYON Jean.
Saint-Victor de Marseille : le Guide. Saint-Laurent-du-Var : Editions mémoires millénaires, 2014, 156p

– Parcours des cryptes – sarcophages et inscriptions [en ligne], Père Philippe RAST. Disponible sur http://www.saintvictor.net/-Guide-des-sarcophages-des-cryptes-.html [consulté le 7 novembre 2015]

– La vieille charité [en ligne], THOMAS Francis. Disponible sur http://vieille-charite-marseille.com/index/le-lieu [consulté le 20 novembre 2015]

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– Fort Saint-Jean (Marseille) [en ligne], Wikipédia. 1er novembre 2015. Disponible sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Fort_Saint-Jean_(Marseille) [consulté le 12 novembre 2015]

– Le Fort Saint-Jean [en ligne], Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Disponible sur http://www.mucem.org/fr/le-mucem/un-musee-trois-lieux/le-fort-saint-jean [consulté le 12 novembre 2015]

– L’institution Mucem [en ligne], Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Disponible sur http://www.mucem.org/fr/le-mucem/linstitution [consulté le 5 novembre 2015]

– Dans les entrailles du Mucem avec Rudy Ricciotti [en ligne], la Fabrique de la Cité, 4 mars 2014. Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=5BjU2eWDxaA [consulté le 23 octobre 2015]

– Le Mucem engage une course contre la montre [en ligne], Territorial SAS, 1er octobre 2009. Disponible sur http://www.carrieres-publiques.com/PAR_TPL_IDENTIFIANT/13628/TPL_CODE/TPL_REV_ARTSEC_FICHE/PAG_TITLE/+Le+Mucem+engage+une+course+contre+la+montre/2814-revue.htm [consulté le 29 novembre 2015]