La ville d’Ypres ne devait être qu’une petite étape, presque une « pause », conseillée par le père de l’un de mes amis, sur notre route entre Beauvais et Bruxelles mais s’est finalement transformée en une formidable découverte d’un patrimoine aussi riche que son histoire et fut une porte d’entrée parfaite pour poursuivre la découverte de la Belgique.
Ypres, ou Ieper en flamand, est la première étape d’un road trip en Belgique effectué avec deux collègues de l’ENSA Nantes du 10 au 13 septembre 2015. Un périple qui nous a permis de voir également Bruxelles, Liège et Val-Dieu. La ville d’Ypres est donc mon premier vrai contact avec le « plat pays » (je ne compte pas la traversée effectuée pour aller à Amsterdam en 2014), terre de mes ancêtres paternels d’origine flamande (d’où la terminaison –cq apposé à mon nom).
Située en région flamande à 40km de Lille, Ypres est un chef-lieu d’arrondissement de la province de Flandre-Occidentale au nord-ouest de la Belgique. La ville naquit véritablement à l’époque carolingienne sur les lieux de deux marchés qui ont fusionné en un bourg au XIème siècle. C’est un siècle plus tard que la ville d’Ypres fut en plein essor grâce à son marché annuel au rayonnement européen où s’échangeait essentiellement de la laine et du drap dont l’artisanat se développa fortement dans la région. Les tisserands continuèrent à s’installer à Ypres sous l’empire de Charles Quint au XVIème siècle avant que les français ne s’emparent de cette plaque tournante du marché de drap à la fin du XVIIème siècle. C’est notamment avec ce rattachement à la France que Vauban entreprit la modification des fortifications de la ville. Ypres continua d’être malmenée par les français d’un côté et les Pays-Bas espagnols de l’autre au XVIIIème siècle avant de connaître une période de prospérité jusqu’au début du XXème siècle.
C’est en 1914 et le début de la Première Guerre Mondiale que l’histoire de la ville d’Ypres pris un tournant majeur. Les premières attaques sur la ville, qui se situe sur la ligne de front entre les allemands et les alliés, débutent en octobre 1914 et se succèdent jusqu’en 1918. Celles-ci seront plus sanglantes les unes que les autres et auront le macabre honneur d’être le lieu où l’armée allemande utilisa pour la première fois les gaz de combats, contre des troupes canadiennes. La région d’Ypres compte pas moins de 170 cimetières militaires et vit près de 300 000 soldats alliés tomber. La ville subit notamment de nombreux bombardements qui ravagèrent la quasi-entièreté de sa cité médiévale à la fin de la guerre.
Alors pourquoi venir voir cette ville de 35 000 habitants à la macabre histoire ? Parce que justement, l’histoire d’Ypres est unique puisqu’après la destruction quasi-intégrale de sa vieille ville, la municipalité entreprit la reconstruction à l’identique de celle-ci, entraînant un chantier colossal qui durera près de 40 ans. Un chantier unique de par son échelle mais aussi dans la volonté générale de rebâtir Ypres à l’identique (quand ce fut possible), permettant une conservation et une transmission du patrimoine historique et architectural. Une idée de la reconstruction post-bombardements qui n’a malheureusement (à mon humble avis) pas eu la chance d’être maintenue après la Seconde Guerre Mondiale où des villes ont été rebâties de zéro sans prendre en compte le passé et l’identité de celle-ci (exemple : Le Havre, dont j’admire malgré tout le travail d’Auguste Perret qui fut reconnu par l’UNESCO).
Partant de Rouen et suite à une escale à Beauvais, nous arrivâmes à Ypres en fin de matinée de ce jeudi 10 septembre 2015. Après avoir garé l’infatigable Clio près de l’église Sint-Pieterskerk qui fait suite à la « porte de Lille », la première impression de cette ville fut son ambiance apaisante qui ressort des vieilles pierres, des remparts, des pavés. Le soleil aidant, nos yeux sont tournés vers les multiples façades des maisons typiques de Flandre d’où se dégage un caractère pittoresque qui nous entraîne dans une Belgique « traditionnelle ». La faim nous guettant et le décor nous y incitant, mes deux compères et moi nous dirigeâmes vers la Grand Place d’Ypres, pleine de vie, véritable cœur de la ville. Nous nous posons donc sur l’une des nombreuses terrasses qui composent la place pour déguster un plat de frites belges certifiées authentiques (les premières de ma vie, non sans une certaine émotion) accompagnées d’une carbonnade flamande, de mayonnaise et d’une bière bien sûr !
Outre l’étalage de la gastronomie belge, la Grand Place d’Ypres rassemble plusieurs joyaux de l’architecture flamande et néo-renaissance flamande, identifiables notamment grâce aux pignons à échelons. La plus grande de Flandre après celle de la ville de Saint-Nicolas, la place accueille un marché le samedi et une multitude de bars, restaurants, friteries, qui étalent leurs terrasses et donnent vie à un espace qui a su conserver son âme d’origine de lieu de rassemblement et d’échange pour la population. L’un des édifices les plus remarquables de la Grand Place d’Ypres est sans nul doute le palais de justice de style néo-renaissance flamand datant dans un premier temps de 1841 avant d’être reconstruit sous la direction de Jules Coomans (1871-1937), architecte en chef de la ville d’Ypres lors de sa reconstruction d’après-guerre qui dirigea une (très) grande partie de ces travaux.
L’ancienne Châtellenie est l’une des architectures notables de la place avec sa façade si particulière aux sept médaillons représentant les sept péchés capitaux et sa toiture aux innombrables lucarnes d’un pur style flamand qui étonne instantanément quand on observe le lieu. A l’origine bâtie vers 1550 lorsqu’Ypres fut un échevinage, l’ancienne Châtellenie fut reconstruite en 1921 là aussi sous la direction de J. Coomans qui avait précédemment travaillé sur sa restauration en 1916, se permettant quelques modifications historicistes tout en gardant une inspiration médiévale.
Quelques maisons mitoyennes plus loin, on peut apercevoir l’hôtel de ville, appelé « Nieuwerck » en flamand, qui se veut comme une extension de la halle aux draps et qui repose sur une galerie d’arc en ogive de style gothique que l’on retrouve dans les ornementations de sa façade. Œuvre de l’architecte J. Sporeman en 1622, l’hôtel de ville s’éleva de nouveau après sa destruction sous la direction de l’architecte P.A. Pauwels (1876-1936) pour rouvrir ses portes, après de longues rénovations, en 1952.
Mais ces exemples d’édifices présents sur la Grand Place d’Ypres s’effacent totalement face au chef-d’œuvre monumental que représente la halle aux draps et son beffroi de 70 m de haut. Mes collègues apprentis-architectes et moi prenons le temps d’admirer cet exemple exceptionnel de l’architecture gothique en nous asseyant quelques instants sur son parvis, ce qui me donne la sensation d’être minuscule malgré mon 1m88. Autrefois abritant un marché et un entrepôt couvert le long d’une voie navigable (qui n’existe plus) lors de son achèvement en 1304, la halle aux draps accueille aujourd’hui un musée sur la Première Guerre Mondiale et l’office du tourisme de la ville. Sa reconstruction basée sur les quelques ruines qui perdurèrent se termina en 1967 et fut sous la direction de J. Coomans et P.A. Pauwels. Le bâtiment est l’une des architectures gothiques la plus imposante d’Europe et fait partie du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le beffroi qui domine la halle aux draps, la Grand Place et même la ville, abritait à l’origine une salle de trésor et une salle d’armes. Mais cette tour composée notamment de 49 cloches est surtout connue dans toute la Belgique pour être le lieu où l’on lançait jadis des chats du clocher lors de la « Kattenfeest » (la « fête des chats »). Une bien curieuse tradition que l’on essaye d’imaginer en traversant la porte « Donkerpoort » située en bas du beffroi et dominée par Notre-Dame de Thuyne, sainte patronne de la ville d’Ypres. La « Kattenfeest » est une cérémonie fêtée chaque année depuis (au moins) le XVème siècle, on l’on peut voir un cortège (le « Kattenstoet ») tous les trois ans depuis 1955 et le traditionnel lancer de chats depuis le haut du beffroi, qui perdure… Avec des peluches je vous rassure ! Le dernier chat vivant qui fut jeté dans le vide date de 1817 (selon les témoignages écrits, il survécu à sa chute). L’origine de cette fête reste trouble mais deux hypothèses persistent : le fait que les chats furent considérer comme le « malin », le diable, au Moyen-âge et l’autre, peut-être plus fondée, expliquant que des chats furent amenés à la halle aux draps pour protéger la marchandise des souris mais que les habitants ne puissant pas contrôler leur reproduction n’eurent pas trouvé d’autres moyen que de jeter du haut du beffroi le « surplus » de chats (non mais ces belges franchement…).
Dans la suite de notre visite de la cité d’Ypres après avoir longé la Grand Place, nous poursuivons notre chemin dans les petites rues au charme indéniable mais quelque peu figées il faut bien l’avouer. Au bout d’un moment, notre regard s’arrête sur une maison pas comme les autres, qui frappe par sa riche façade gothique en pierre comportant arcatures, pignon à gradins, rosasses et statue qui tranche avec ses mitoyennes en briques. J’appris par la suite que cet édifice est la maison Biebuyck, l’un des trésors d’Ypres particulièrement choyé puisque c’est l’une des rares maisons dont la quasi-totalité de la façade résista aux bombardements de 14-18. Ancien hôtel de maître de la ville qui date de 1544, la maison doit son nom à Pierre-Donatien Biebuyck (1800-1884), éminent président du tribunal d’Ypres qui participa au financement de sa restauration au XIXème siècle. L’édifice est plus précisément de style architectural gothique brabançon tardif, ce qui en a fait un monument protégé depuis 1983 après qu’elle fut rénovée grâce à l’incontournable J. Coomans et l’ingénieur Eugène Biebuyck (1886-1966), petit-fils de celui qui donna son nom à la maison.
Poursuivant notre parcours dans les petites rues paisibles d’Ypres et nous dirigeant vers l’ouest, nous arrivons à la limite de la vieille ville au niveau de la gare. Sur le parvis de celle-ci s’élève le centre culturel d’Ypres réalisé en 2011 d’après la réflexion des architectes de l’agence BURO II & ARCHI+I (fusion de deux bureaux d’architectes belges en 1979). Le centre regroupe commerces, théâtre, centre pour les jeunes et bureaux dans un quartier de la ville en pleine mutation. Le bâtiment repose sur un socle en béton accompagné de marches et de rampes pour créer un espace de repos et de réunion qui fait du centre culturel d’Ypres un vrai catalyseur de la revalorisation du quartier de la gare. L’édifice est un autre coup de cœur de cette ville, son architecture contemporaine composée d’une structure et d’une double-peau métalliques avec des jeux de reflets et de transparences qui fonctionnent, selon moi, très bien et s’intègre sans forcer à son contexte en restant à une échelle et un gabarit proche des habitations flamandes de la vieille ville.
Suite à cette intermède contemporain, nous butons sur les fortifications de la ville, les mieux conservées de Belgique par rapport à leur âge et ce malgré l’histoire mouvementée qu’elles ont subie. Les premières traces datent d’une dizaine de siècle avec des fossés et des murs de terre puis les premiers remparts et tours en pierre virent le jour vers 1390. C’est bien sûr dans les années 1680 que les modifications des fortifications d’Ypres sont les plus significatives avec l’intervention de Sébastien Le Prestre de Vauban (1633-1707), célèbre ingénieur militaire français. Celui-ci profita de la géographie de la ville pour en faire un bastion avancé protégeant le royaume. Aujourd’hui plus ou moins restaurés, les remparts offrent aux passants une promenade verdoyante autour de la ville que nous avons alors empruntée au rythme de panneaux touristiques expliquant son histoire.
Mes collègues et moi terminons donc notre marche touristique autour d’Ypres au niveau de la porte de Menin située à l’Est de la ville. Cette porte est un mémorial dédié aux soldats britanniques et du Commonwealth tués lors des différentes batailles qui se sont succédées dans cette région entre 1914 et 1918. La porte de Menin fut construite en 1927 sous la forme d’un arc de triomphe érigé d’après les travaux de Reginald Blomfield (1856-1942), architecte britannique, avec l’aide de l’ingénieur E. Biebuyck. Sur ses murs sont gravés les quelques 55 000 noms des soldats tombés à Ypres, ce qui en fait l’un des principaux lieux de cérémonies de commémoration notamment lors du centenaire de la Première Guerre Mondiale en octobre 2014 en présence du roi des belges, de la chancelière allemande et du ministre de la défense français. Chaque soir à 20h, les pompiers de la ville se dirigent vers la porte de Menin pour y fermer la route et jouer le « Last Post » en hommage. Une fois descendu en bas de cet imposant arc de triomphe, une émotion particulière s’emparât de moi quand je vis ces milliers de noms gravés dans la pierre, comme à l’infini. Et malgré la dimension de l’édifice, la porte de Menin reste très humble et d’une élégante justesse.
Avant de partir pour Bruxelles et poursuivre notre périple dans le « plat pays », notre petit groupe d’étudiants-architectes faisait un dernier crochet sur la Grand Place pour prendre une énième bière locale (comprenez qu’après une telle marche, la soif se fait sentir) pour finir en beauté la visite d’Ypres. Ce qui ne devait être qu’une petite étape, presque une « pause », conseillée par le père de l’un de mes amis, sur notre route entre Beauvais et Bruxelles s’est finalement transformée en une belle surprise qui nous a permis de découvrir une ville au patrimoine aussi riche son histoire qui fut une porte d’entrée parfaite pour poursuivre la découverte de la Belgique.
Valentin Secq
Voyage du 10/09/2015
Médiagraphie :
http://www.toerismeieper.be/fr
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ypres
http://biebuyck.over-blog.com/pages/Biebuycks_house-3149733.html
http://www.kattenstoet.be/fr/page/497-511/le-lancer-des-chats.html
https://www.architecture.com/Explore/Revealingthecollections/ClothHallYpres1930s.aspx
http://www.b2ai.com/fr/projets/detail/centre-culturel-het-perron-ieper