Au plein cœur de la côte ouest de la Croatie bordant la mer Adriatique, la ville de Zadar, forte de ses 3000 ans d’existence, est un véritable trésor extrait de la région de la Dalmatie où se cachent une architecture et un patrimoine aussi riche que les cultures qui l’ont traversé sont nombreuses. Partant pour une simple excursion touristique au soleil, je reviens de Zadar avec la tête remplie de fabuleux souvenirs mais aussi de chefs-d’oeuvre architecturaux qui ont traversé le temps dans ce véritable musée à ciel ouvert. 

On ne va pas se le cacher, si l’idée nous ai venue de partir à Zadar mes amis et moi, c’est un peu grâce au hasard puisqu’il nous fallait choisir une destination ensoleillée, abordable et facile d’accès pour profiter de nos vacances bien méritées. Direction donc la Croatie et la côte Adriatique et son magnifique vol direct Beauvais-Zadar pour un prix « tarif étudiant ».

C’est donc sans aucune idée précise où je mettais les pieds, « comme un touriste » dit l’adage, que je découvre avec le plus grand bonheur la ville de Zadar et une région de la Dalmatie en plein développement touristique et culturel.

Outre des paysages magnifiques, un ciel azur et une eau transparente à 26°C (ndlr : pour la première fois de ma vie je voyais le fond de l’eau en me baignant, comprenez pour un normand que dans la Manche c’est assez rare), j’ai pu découvrir à Zadar une richesse architecturale surprenante due à son histoire plus que mouvementée. La ville croate accumule en effet un héritage architectural conséquent d’époques et de civilisations diverses tout au long de ses 3000 ans d’existence.


Vue du haut du clocher de Sainte-Anastasie, point le plus haut de la vieille ville, le regard vers l'Adriatique.

Vue du haut du clocher de Sainte-Anastasie, point le plus haut de la vieille ville, le regard vers l’Adriatique.

Avant de devenir la cinquième ville de Croatie avec près de 80 000 habitants, Zadar s’est véritablement développée sous l’empire Romain en devenant sa plus importante colonie de Liburnie (devenue la région de la Dalmatie du nord) vers 35 av. J.-C., en prospérant grâce au commerce du vin et de l’huile qui transitait par son port au bord de l’Adriatique. Successivement la colonie romaine fut envahie par les Goths puis fut reprise par les byzantins au VIème siècle. S’en suit une domination hongroise au XIVème siècle avant d’être sous le contrôle de la Sérénissime République de Venise à partir de 1409 jusqu’à la fin du XVIIIème siècle quand la ville dalmate servit de rempart face aux Turcs. Les autrichiens récupèreront Zadar pendant une courte période avant que la ville tombe sous le joug de Napoléon de 1808 à 1813 puisque ces premiers ne la réoccupent jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Zadar est sous contrôle italien et subit une cinquantaine de bombardements alliés entre 1943 et 1944, qui défigurèrent la ville et notamment ses remparts austro-hongrois du XIXème siècle mais qui épargna bien heureusement une bonne partie de la vieille ville située sur une presqu’île écartée du port militaire d’alors. Après ces évènements et pendant la reconstruction de Zadar, un projet souhaitait dans un premier temps raser toutes les habitations de cette presqu’île pour ne conserver que les églises dans le but de créer un véritable musée à ciel ouvert.

Bien heureusement, les autorités yougoslaves de l’époque refusèrent catégoriquement et souhaitèrent conserver un maximum de ce qu’il restait du patrimoine encore debout. Cette politique de conservation et de restauration se poursuivit après l’indépendance de la Croatie déclarée en 1991. Dans le contexte de son jeune pays, Zadar se développa progressivement pour devenir un point fort du tourisme sur la côte Adriatique jusqu’à être élue en 2004 « ville de grande perspective », elle reçoit de nos jours près de 150 000 touristes chaque année.

Carte de l'office du tourisme.

Carte donnée par l’office du tourisme.

C’est donc une ville rayonnante, en plein développement touristique et riche de son patrimoine architectural et des différentes cultures qui l’ont traversé que nous découvrons le 2 septembre jusqu’au 9 septembre 2015. Nous sommes hébergés dans un appartement au bord de la mer sur la presqu’île de Zadar que nous ne quitterons que deux fois durant le séjour pour s’aventurer dans ce qui est le « gros » de la ville où l’on peut observer grands boulevards et barres de béton typiques d’un urbanisme socialiste post-bombardements (ndlr : j’en ai vu assez au Havre, merci) puis pour observer le splendide parc national de Krka et ses cascades à 1h de route seulement au sud de Zadar.

La quasi-entièreté des visites et autres promenades (entre deux baignades quand même) se déroulèrent donc dans la vieille ville, à 95% piétonne, aux petites rues rafraichissantes pavées et au fort accent italien. Ses nombreuses églises dans un petit périmètre (une dizaine sur une presqu’île d’environ 35ha), ses immeubles de style renaissance et ses petites places où l’on peut apercevoir des ruines romaines donnent une réelle impression d’être en Italie et souligne l’importance de l’héritage laissé par les latins. Malheureusement on ne peut pas en dire autant de leur gastronomie qui se résume à la pomme de terre, au calamar et au bœuf de Dalmatie (très bon cela dit).

Vue sur le forum romain de Zadar depuis le clocher de sainte-Anastasie.

Vue sur le forum romain de Zadar depuis le clocher de sainte-Anastasie.

En toute logique l’un des éléments symbole de la ville de Zadar est son forum romain, le plus grand de la côte Adriatique hors-Italie avec ses 90m de long pour 45m de large. Érigé entre le premier et le troisième siècle après J.-C., il fut dédié à l’empereur Auguste mort en 14 ap. J.-C.  Proposé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2012, le forum fut le lieu principal de la vie publique de Zadar sous l’empire romain et reste aujourd’hui toujours un lieu de rassemblement publique (et gratuit) où la population croate se réunie, se repose, tout en respectant les ruines. Nous avons donc imité les autochtones le troisième jour sur place, en nous asseyant près des ruines, observant avec admiration la qualité de l’espace et la mise en valeur de celui-ci.

Situé en plein cœur de la vieille ville, le forum romain regroupait jadis un capitole surélevé de 2m avec  un temple dédié à Jupiter et Minerve, dieu et déesse de la guerre. L’une des colonnes encore visible sur la place servit au moyen-âge de pilori pour exposer les condamnés, mais la grande majorité des pierres et des colonnes du temple et du forum furent utilisées pour bâtir l’église Saint-Donat que j’ai pu donc observer plus longuement le 5 septembre, après être passé plusieurs fois à côté sans vraiment m’y attarder. En montant en haut du clocher de la cathédrale sainte-Anastasie (voisine de saint-Donat et autre chef-d’œuvre de Zadar) après s’être posés au forum, la vue sur l’ensemble de la presqu’île et particulièrement sur le forum et saint-Donat avec en fond l’Adriatique et l’archipel croate sous le coucher du soleil laisse complètement sans voix et on se laisse à rêver des scénarios aux diverses périodes qu’a traversé Zadar.

Construite par les byzantins sous l’impulsion de l’évêque Donat, futur saint-patron de la ville, l’église Saint-Donat sort de terre au début du IXème siècle. D’abord appelée église de la sainte-Trinité, elle fut nommée d’après l’évêque Donat au XVème siècle et se présente comme étant la plus grande construction préromane de Croatie et l’une des plus impressionnantes églises à plan centré de l’Europe carolingienne. Autrefois couverte d’un dôme, saint-Donat se compose de trois absides et un déambulatoire circulaire autour d’une salle centrale surmontée d’une galerie. Cette architecture est typique de l’architecture byzantine observée en Dalmatie, avec une construction en pierre, remplois, bois et une couverture en tuiles d’argile. À l’intérieur (que je n’ai pas pu observer malheureusement), la sobriété est de mise avec pour seul ornementation quelques reliefs de pierre ; le sol se compose de dalles extraites du forum romain. N’étant plus utilisé comme un lieu de culte, son acoustique particulière due à sa forme circulaire profite à des représentations musicales comme les « soirées musicales de Saint-Donat » chaque année en juillet et en août.

Un autre élément architectural fort de ville auquel on ne peut échapper est sa fortification qui entoure la quasi-totalité de la presqu’île de Zadar. Deux amis et moi-même ayant même eu une expérience physique, c’est le cas de le dire, avec les différents remparts le 6 septembre en effectuant un footing de bon matin (ndlr : 10h, mauvaise idée, il faisait déjà plus de 25°C) autour de la vieille ville. Le manque de connaissance de la ville et le nombre de portes nous ayant quelques peu perturbé, nous nous sommes même payé le luxe de nous tromper de chemin au retour et de faire un joli détour. Quand bien même, mon œil d’apprenti-architecte en a profité pour observer de plus près les multiples portes des fortifications dans un style renaissance, toujours aussi bien conservées par la municipalité croate. Par la suite nous avions pu nous frotter plus doucement à ces remparts en empruntant le chemin qui les bordait pour se diriger à la plage chaque jour.

Sur le chemin de la plage, le long des fortifications.

Sur le chemin de la plage, le long des fortifications près du port de Fosa.

La fortification de Zadar fut établie par les vénitiens qui dominèrent la ville dalmate du XVème à la fin du XVIIIème siècle, voulant ainsi protéger notamment des turcs, la place forte la plus puissante à l’Est de l’Adriatique. Comptant à l’origine une trentaine de portes tout autour de la presqu’île, seulement 8 sont encore visibles aujourd’hui puisqu’une partie des fortifications furent supprimées en 1874. Quelques vestiges ont quand même été conservés, comme la citadelle au sud de l’ancienne ceinture de remparts qui abrite de nos jours l’université de Zadar (qui permet à la vieille ville de conserver une certaine jeunesse dans ses rues) ou encore environ la moitié des murailles d’où jaillissent promenades, parcs et night clubs (dont le Garden et le Ledana où nous avons passé quelques soirées) qui profitent de la hauteur de celles-ci pour la vue qu’elles offrent sur le reste de la ville.

L’un des joyaux de ces fortifications encore debout est sans nul doute la « porte de la terre ferme » au sud de la presqu’île près de l’actuel port de plaisance de Foša. Construite en 1543 dans un style renaissance, elle est l’œuvre de l’architecte vénitien Michele Sanmicheli (1484-1559), architecte maniériste qui fut notamment l’un des pères des fortifications appelées « tracés à l’italienne ». La porte est un arc de triomphe comportant trois ouvertures avec au-dessus d’elles un bas-relief de saint Chrysogone, l’un des symboles de Zadar, et un autre du lion de saint Marc, le symbole de Venise et de sa république sérénissime. Autrefois rejointe via un pont de bois, la « porte de la terre ferme » est aujourd’hui plus facile à traverser et reste un lieu de passage incontournable et fort emprunté de Zadar.

Après un voyage dans le temps qui nous a permis de comprendre une partie du patrimoine culturel, architectural et historique de Zadar, le moment est venu de se pencher un peu plus sur les interventions contemporaines faites au nord-ouest de la presqu’île qui rendent un bel hommage à la ville et sa région : l’orgue de mer et le « salut au soleil », fait tout deux par Nikola Basic.

Ce dernier est un architecte croate né en 1946 qui fut diplômé de la faculté d’architecture et d’urbanisme de Sarajevo avant d’installer son agence à Zadar et de devenir professeur à Split au sud de la Croatie. Son travail est essentiellement basé sur ces racines dans la culture et l’histoire locale dalmate et l’identité de son jeune pays né en 1991. Ses différentes œuvres expriment une certaine humilité face au paysage comme celles à Zadar mais également Le Mémorial des soldats du feu, de 2010, où Nikola Basic bâti un mémorial sous forme de land art. L’architecte dalmate fut notamment mis en avant à la cité de l’Architecture de Chaillot à Paris en 2013 dans le cadre d’une exposition sur l’architecture croate contemporaine.

L’orgue de mer est le premier espace public de ce type au monde installé à Zadar depuis 2005. Il ne compte pas moins de 35 tuyaux de longueur, de diamètre et d’inclinaison différents placés perpendiculairement au sol. Ceux-ci remontent ensuite jusqu’aux dalles et aux marches bordants l’Adriatique pour produire 7 accords en 5 tonalités qui sortent comme par magie. Les locaux comme les touristes s’installent donc régulièrement sur les marches de l’orgue pour assister au concert produit par les vagues. Le jour les adultes s’y posent pour bronzer et faire une sieste dans un cadre relaxant tandis que les enfants se baignent, sautent des marches dans l’eau et tendent leurs oreilles dans les tubes d’où sortent les sons marins. Cet aménagement urbain remporta de nombreux prix nationaux ainsi qu’une reconnaissance globale avec le « prix européen pour l’aménagement d’espace publique » en 2006, décerné au CCCB à Barcelone.

Vue de l'extrémité de la presqu'île de Zadar depuis le haut du clocher de Sainte-Anastasie.

Vue de l’extrémité de la presqu’île de Zadar depuis le haut du clocher de Sainte-Anastasie.

Le Salut au soleil de Nikola Basic est un disque de 22m de diamètre mis en place en 2008 et composé de 300 panneaux de verre superposés. Ces derniers engrangent de l’énergie toute la journée pour ensuite s’illuminer au coucher du soleil au rythme de l’orgue de mer. L’œuvre n’est pas qu’un hommage rendu à la nature et au soleil omniprésent dans cette région mais également une « mini-centrale » électrique qui produit pas moins de 46 500 kW/an, ce qui permet de répondre aux besoins de l’éclairage de toute la rive de la presqu’île pour un coût trois fois moindre. En plus d’un aménagement urbain pratique et esthétique, l’installation Salut au soleil offre une efficacité énergétique en accord avec la volonté de l’architecte d’être en harmonie avec la nature et le paysage.

Mes amis et moi avions décidé d’aller voir cet espace public symbolique en fin de séjour et en fin de journée, pensant au départ que c’était une attraction touristique sans grand intérêt. Mais la surprise fut de taille ! Le moment choisis pour observer ces œuvres fut des plus opportuns puisque le soleil disparaissait progressivement, laissant place aux illuminations offert par le Salut au soleil qui accompagnait l’orgue de mer, les deux illustrant parfaitement un spectacle son et lumière apaisant sur lequel plane une atmosphère de pleine sérénité. L’affluence étant moindre que pendant la journée, nous nous sommes permis de nous assoir un instant sur les plaques de verre, en refaisant un peu notre séjour, profitant du moment (en oubliant même de prendre des photos de cet endroit si particulier ! Quel regret !) avant de repartir vers des endroits plus « mouvementés » pour les derniers instants nocturnes passés à Zadar.

Arrivant sans aucune appréhension et aucune véritable connaissance de la Croatie ou de Zadar, j’y repars le 9 septembre avec de superbes souvenirs et la découverte d’un pays et d’une ville bien trop méconnue à mon goût même si cette destination prend de plus en plus d’ampleur. Et ce n’est certainement pas dû qu’à son faible coût par rapport à d’autres destinations méditerranéennes ou adriatiques mais également à la richesse de son patrimoine, son paysage, sa culture qui s’offre progressivement au reste du monde. Puisqu’après tout, cette ville a beau avoir 3000 ans, ce pays n’en a que 24.

Le soleil sombrant doucement dans les eaux de l'Adriatique...

Le soleil sombrant doucement dans les eaux de l’Adriatique…

Valentin Secq

Voyage du 02/09/2015 au 09/09/2015

Médiagraphie :

http://www.zadar.travel/fr

https://fr.wikipedia.org/wiki/Zadar

http://www.citechaillot.fr/fr/expositions/expositions_temporaires/24772-nikola_bai.html

http://www.nytimes.com/2008/07/06/travel/06next.html?_r=1&

http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_4336

http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_4341

http://whc.unesco.org/fr/decisions/4799

http://www.qantara-med.org/qantara4/public/show_document.php?do_id=1435

http://www.paris-art.com/interview-artiste/experimenter-le-sacre/nikola-basic/520.html

http://www.east-centricarch.eu/projects/sea-organ.html

http://www.fortified-places.com/reliefs/venice/zara/