Avant même de me rendre à Turin il y a trois ans, j’étais animé d’un certain a priori sur la ville : ville industrielle, berceau des usines Fiat. En y regardant de plus près, sur une carte, cette vision semblait en effet se vérifier. L’implantation des usines dans le quartier Mirafiori sud représente en superficie quasiment celle du centre historique. Certes Turin semblait effectivement être fortement industrialisée mais c’était sans compter sur une histoire et une culture fortes, un centre préservé et magnifié, une qualité de vie exceptionnelle aux portes de la vallée d’Aoste et un cadre plein de surprise.

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Torino fatta ad arte – vue du Pô

Pour comprendre la vision que l’on a aujourd’hui de Turin, tout comme son visage réel, il faut se plonger dans son histoire et ses origines. Turin a été une place forte durant le Risorgimento, période d‘unification de l’Italie moderne qui s’est tenue durant le XIXe siècle. En effet, la ville alors chef-lieu de la maison de Savoie sous le règne de Vittorio Emanuelle II, a joué un rôle important au travers de personnages marquants tels que Garibaldi et Camilio Benso comte de Cavour. Le territoire italien alors découpé en huit états dont la Vénétie sous contrôle du royaume d’Autriche, verra son unification arrivée grâce à l’appui de Napoléon III courant de l’année 1871.

En déambulant dans le centre historique, ces noms résonnent et nous retrouvons l’importance des rôles joués par ces différents acteurs. Victorio Emanuelle II a été roi du royaume Piémont-Sardaigne en 1849 et a nommé à son tour Camilio Benso premier ministre en 1852. C’est ce dernier qui va moderniser le pays avec notamment les lignes de chemin de fer, et s’opposera aux idées régionalistes et soutiendra le royaume de Savoie dans la quête de l’unification. En 1861, Turin deviendra la première capitale du Royaume d’Italie et ce jusqu’en 1865 au profit de Florence.

C’est dans le cœur de la ville que l’on comprend le rôle majeur joué par Turin dans ce qui constitue aujourd’hui l’Italie moderne dont nous ne savons que trop peu que c’est un pays très jeune qui présente encore aujourd’hui des signes de fractures notamment nord-sud.

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Turin 2013 – vue sur les Alpes

Remontons encore un peu plus le temps, pour appréhender l’organisation de la ville de Turin dans sa globalité, il faut revenir à ses origines, à l’évolution géologique même du territoire et passer par plusieurs étapes. L’évolution de la plaine du Pô qui effleure les Alpes, l’émergence de la colline, la formation de la plaine et des rivières, jusqu’à l’installation du peuple des Taurins. C’est dans l’étroite bande de plaine existant entre les Alpes et la colline créée par le déplacement du cours du Pô du sud au nord de la colline qui offre à Turin son emplacement et sa forme actuels.

En passant par des étapes de ville antique puis de ville médiévale, les changements les plus radicaux auront lieu durant la période moderne.

En 1563, Turin devient capitale du Duché de Savoie et en deux siècles seulement la petite ville fortifiée se transformera en majestueuse capitale d’un royaume reconnu alors parmi les grands états d’Europe. Secondés d’ingénieurs militaires et d’architectes, ducs et souverains turinois dessineront au fil des ans une cité ambitieuse, qui aspire au prestige et à la grandeur. Ils commenceront par les fortifications et les travaux d’agrandissement pour défendre et consolider son rang de capitale. Ils poursuivront avec la valorisation des demeures urbaines et la réalisation de la “Couronne des délices”, les résidences de la cour qui sertissent la ville et de nombreuses coupoles.

À la fin du XVIIIe siècle, le Turin de la maison de Savoie est donc l’une des grandes capitales européennes, splendide cité baroque créée par les grands architectes de cour, notamment Vitozzi, Castellamonte, Guarini, Garove, Juvarra, Alfieri.

photo Turin 2013 - arcades via Roma

Turin 2013 – arcades via Roma

Les arcades qui ornent la ville sur 19 km en font son plus grand trait de caractère aujourd’hui, elles ont été initialement construites pour protéger la Reine de la pluie. En effet, ce système de trottoirs couverts et abrités par des portiques en arcades (que l’on peut également retrouver à Bologne pour d’autres raisons climatiques) trouve son origine de par la position géographique de la ville. Située au Nord du pays, subissant un climat alpin et par conséquence arrosée par les pluies humides de la Plaine du Pô, la ville a trouvé cette solution pour constituer des espaces ouverts et agréables d’une grande esthétique et adaptés à l’activité commerciale.

De capitale du royaume de Savoie à capitale morale de l’Italie sur le chemin de l’unification. De première capitale de l’Italie à moteur de l’industrie nationale. Turin a su redessiner son profil et prendre une nouvelle identité.

photo Turin 2013 - tram 15

Turin 2013 – tram 15

photo Turin 2013 - tram

Turin 2013 – tram

Turin fut longtemps une ville grise, refermée sur elle-même mais qui assurait une certaine sécurité économique avec la grande Fiat. Des lois votées plus tard redonneront à Turin un air purifié mais moins de travail. Aujourd’hui elle est une ville agréable, une beauté qui se laisse découvrir lentement au rythme de ses nombreuses rues piétonnes et places qui s’ouvrent, explosent et se disposent en miroir. La mémoire des travailleurs, la pollution extrème sont des souvenirs que l’ont tente d’effacer car c’est encore la vision que l’on a de la ville de nos jours. En effet, Turin est fortement sous-estimée, comme boudée par les touristes, elle n’est pas une destination de choix en Italie contrairement à Rome, Florence ou Venise. Mais elle est très peu connue et d’une grande beauté qui a plein de trésors à offrir comme notamment son magnifique musée égyptien, son musée de l’automobile, son centre historique où trône fièrement le fabuleux Palazzo Madama, ou encore la Mole Antenelliana figure de la ville où siège aujourd’hui le musée du cinéma riche de surprises. Plus loin dans la ville, proche des anciennes usines Fiat, Lingotto, un tout autre visage de la cité, au sommet duquel on peut observer la superbe pinacothèque de Renzo Piano. Turin est l’image parfaite de la mutation d’une ville industrielle au cœur de laquelle un cœur historique persiste et fait son charme, malgré les destructions du régime fascisme, la reconstruction présente un mimétisme rigoureux de la forme antique et offre une illusion néoclassique presque parfaite. Turin a su profiter des arrivées d’argent pour se renouveler notamment avec l’accueil des Jeux Olympiques d’Hiver en 2004.

photo Turin 2013

Turin 2013

Derrière ce voile que l’on semble vouloir donner à Turin, il y a bel et bien une ville romantique, mélancolique où l’on se sent bien et où l’on aime retourner. Collines, fleuve Pô, centre historique puis l’immense mur des Alpes nous apparaît dans un certain silence. En effet Turin est plus calme que Rome ou Florence, la première avec son trafic routier intense, la deuxième avec ses rues étroites et ses échos. On se balade donc à Turin avec douceur et l’on profite des joies des anciens cafés où l’on peut déguster des Bicerin, boisson typique préparée à partir d’expresso, de chocolat chaud et de lait où tout simplement un ristretto al banco dans le magnifique Caffè Elena, Piazza Vittorio Veneto. Le soir la ville s’anime autour d’aperitivo qui donnent chaleur humaine et moment de convivialité.

Turin 2013

Turin est pleine de beauté, il suffit d’oser s’y rendre pour enfin effacer ce que l’on pensait d’elle.

Mathieu Cros

Bibliographie

Torino, fatta ad arte, Giacomo Soffiantino, Dario Voltolini, EDT

http://transports.blog.lemonde.fr/2014/05/22/turin-capitale-italienne-de-lautomobile-vue-du-tramway/

http://www.franceculture.fr/emission-villes-mondes-turin-ville-haute-ville-basse-turin-ville-mondes-escale-1-2015-06-28

http://www.italie-decouverte.com/turin-deux-mille-ans-dhistoire/