GRENADE, QUI ES-TU ?

Grenade se présente aujourd’hui tel un palimpseste urbain : différentes civilisations se sont succédées sur ses terres, l’agrémentant chacune de leur culture sans condamner les précédentes.

Plan arabe de 1910 avec détails des différentes murailles

Plan arabe de 1910 avec détails des différentes murailles

C’est  sur le lieu de l’actuel quartier de l’Albacin, à flanc de montagne que la première colonie romaine « Iliberri » s’est implantée. Mais Grenade n’a pas les caractéristiques d’une ville romaine (ni ordonnancement orthogonal, ni tissu urbain similaire, ni équipements romain tels que les forums).

Elle fut fondée par la civilisation Maure en 756 à proximité d’Iliberri. Une période de domination musulmane entre 711 et 1031 a été l’occasion de s’occuper de la construction de la fortification autour du noyau dur de la cité. Une 2ème fortification se construit pour le second noyau appelé AL-yahud (dans le quartier du Realejo actuel). A cette époque, le pouvoir de la ville se trouve à la Medina Elvira, aux pieds du quartier de l’Albaicin. Au final, les deux premiers noyaux se fondent en un unique centre qui s’agrandit progressivement. La ville est ensuite assiégée par les Almoravides en 1090, puis par les Almohades au XIIème siècle.

façade de l'Alhambra depuis le quartier de l'Albaicin

façade de l’Alhambra depuis le quartier de l’Albaicin

Grenade connaît une prospérité inouïe de 1238 à 1492 sur les plans économique et artistique : les palais nasrides, édifiés pour l’essentiel à partir du XIVème siècle, et les jardins de l’Alhambra forment une véritable cité à l’intérieur de ses remparts. Les Maures utilisaient alors abondamment les méthodes de production artisanale et les relations commerciales le long de la Méditerranée. À cette époque, Grenade accueille 65.000 habitants, c’est la plus grande ville de la péninsule.

porte de la ville dans l'ancienne muraille

porte de la ville dans l’ancienne muraille

Grenade est la première ville au développement majeur de son milieu urbain au cours de la domination musulmane avec son caractère et son architecture propre. La ville attire les artistes, est très représentée, dessinée au cours de son histoire grâce à son patrimoine riche et ses traditions multiples. Elle est située sur la frontière entre l’Europe et l’Afrique, elle garde une relation particulière à la croisée des cultures.

plan de Grenade daté de 1810

plan de Grenade daté de 1810

Un changement de conception de la ville s’opère à partir de 1492 quand les rois catholiques, Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille, conquièrent Grenade. La fin du 15ème siècle est alors responsable de l’organisation urbaine que la cité connait désormais. Un processus ardu de baptême de la population et de la ville est organisé afin de convertir tout le monde au christianisme. Les premiers effets se font sentir : il y a un changement de la représentation visuelle de la ville. Avec l’arrivée des rois catholiques le niveau d’urbanisation et les stratégies d’aménagement se ressentent.

cathédrale de Grenade au cœur du tissu urbain

cathédrale de Grenade au cœur du tissu urbain

Ces stratégies proposent :

1: l’installation d’églises dans les mosquées

2: l’installation des équipements chrétiens dans la ville (tribunal …)

3: La plupart des bains publics sont éliminés

4: l’exclusion de l’ensemble de la population juive, et la gestion de la destruction du quartier juif du Realejo. Le quartier est plus régulièrement ordonné.

5: Des quartiers émergents de l’autre côté de la muraille, on continue à construire dans la partie basse ainsi on distingue que cette zone a la population la plus chrétienne. Une nouvelle trame urbaine se développe comme un maillage qui s’adapte au territoire naturel dans cette partie au relief plat.

porte Mudéjar sculptée de l’hôpital royal

porte Mudéjar sculptée de l’hôpital royal

Un nouveau style s’ajoute dans le tissu urbain de type musulman, ce mélange d’architecture spécifique a été baptisé « art Mudéjar » : l’influence gothique et renaissance des catholiques se superposent à l’art musulman. Ce style est unique en son genre en Andalousie. Le premier projet chrétien fut la Cathédrale de Enrique Egas et Diego de Siloé, extraordinairement monumentale car elle fut construite sur un principe pensé pour Charles Quint en cinq nefs. L’hôpital royal, réalisé par les mêmes architectes au XVIème siècle se compose de deux axes qui se croisent laissant apparaître quatre patios entourés de galeries ouvertes. Chacun d’eux est traité de manière singulière dans sa composition entre minéral et végétal. L’intervention de Charles Quint se fait sentir dans toute la ville, car il change la connexion entre l’Alhambra et Grenade. Il instaure une nouvelle façon d’arriver à l’Alhambra, avec l’idée de la porte monumentale inspirée de l’Arc de Triomphe.

vestige d'une ancienne porte qui mène à l'Alhambra

vestige d’une ancienne porte qui mène à l’Alhambra

De grands espaces publics sont organisés dans la ville chrétienne : il y a « Bib-rambla » la place carré accueillant des marchés,  « Plaza Nueva » le centre géométrique de la ville, et « Campo del Principe » au cœur du quartier Realejo. La création de places publiques est totalement nouvelle puisqu’elle n’existait pas dans la conception de la ville Maure. Les monuments sont également impliqués dans ce mouvement pour transformer la ville, de même que de grands travaux de canalisation du fleuve Genil sont entamés en 1751.  Bien qu’il y ait de nombreuses interventions urbaines dans la ville, celle-ci continue de fonctionner selon les coutumes de l’époque Maure.

A partir des années 1800, Grenade devient  un haut lieu pour les intellectuels européens et voit plusieurs institutions s’installer dans son centre. En 1811, l’occupation par l’armée française bouleverse Grenade. Celle-ci prétend connaitre la topographie autour de la ville (fleuves, collines …) et réalise des plans militaires dans l’intention de signaler les monuments sans aucune visée artistique. Durant cette occupation française, Grenade perd beaucoup de son patrimoine. L’un des grands travaux des français fut l’agencement autour du fleuve Genil d’une promenade arborée. On confisque des parties de la propriété de l’église, divers bâtiments trouvent de nouveaux usages.

détail de la cathédrale de Grenade

détail de la cathédrale de Grenade

Au 19ème siècle, c’est la période romantique, on s’intéresse aux phénomènes naturels, à la force de nature. Grenade devient un point de référence pour tous ceux qui veulent faire des recherches sur la période islamique. La peinture romantique et l’orientalisme attirent les artistes à Grenade.

L’apparition du chemin de fer entre 1862 et 1866 entraîne l’arrivée d’un nouveau type de voyageur : le touriste. En réponse à ce phénomène, des interventions sont établies. Au 19eme siècle, le tourisme est pratiquement la seule industrie qui fait fonctionner la ville. L’apparition de l’immobilier change la manière d’habiter, les maisons deviennent sur plusieurs niveaux, avec la modernisation les immeubles sont  plurifamiliaux. Cette opération change les types de population des quartiers. En 1896, des intellectuels, comme Angel Ganivet,  défendent l’image idéalisée de Grenade figée dans son passé et la petite échelle de ville où les gens se connaissent. Ils défendent également la conception de la maison unifamiliale comme temple de la convivialité.

vue générale de la ville depuis la montagne

vue générale de la ville depuis la montagne

AMBIANCES URBAINES

En Espagne, on peut observer une appropriation spontanée de l’espace urbain grâce au climat plus clément, les gens vivent plus facilement en extérieur. En ville, les logements n’ayant pas de jardins incitent les habitants à se retrouver dans la rue. Ainsi, le rapport à l’espace public semble plus fort que dans les pays nordiques.

On peut voir comme une vérité générale le fait que l’attachement à la famille et aux proches se transmet de génération en génération par le biais des mœurs religieuses. L’entourage se retrouve assez fréquemment pour partager des instants, discuter simplement. Toutes les générations sont touchées par ce phénomène et même si la religion ne rentre plus en compte, ses valeurs se transmettent.

Grenade est considérée comme un village qui s’est étendue, elle a l’apparence d’une ville mais les gens la vivent comme un grand village où tout le monde se connait, n’est pas dans la représentation mais dans le vécu du quotidien commun. C’est la tradition de la ville qui est restée : la forme a changé mais pas les gens et leur sociabilité. C’est ce qui fait sa force.

Dans l’espace urbain islamique, la rue n’est pas dessinée ou planifiée ce qui génère des rues désordonnées et irrégulières. C’est dû au fait que chaque habitant voulait vivre à l’intérieur de la muraille, protégé et qu’aucune loi ne régissait l’espace public. Aujourd’hui, cela garanti des espaces publics très piétons, agréables à parcourir.

spectacle de flamenco dans une troglodyte du quartier Sacromonte

spectacle de flamenco dans une troglodyte du quartier Sacromonte

Au  sommet de l’Albaicin, le quartier du Sacromonte est investi par le peuple gitan habitant des troglodytes. Une part de l’histoire de la ville leur est laissée puisqu’ils ont largement influencé la culture locale musicale (le flamenco) et gastronomique. Cela fait partie aujourd’hui des quartiers les plus touristiques.

Avec sa tradition du tapas gratuit, ses musiques de rue spontanée, son climat clément, ses senteurs, ses fontaines offertes aux passants, Grenade semble être une ville qui s’offre généreusement à ses habitants.

patio de l'auberge pour commerçants itinérants "Corral del Carbon"

patio de l’auberge pour commerçants itinérants « Corral del Carbon »

ARCHITECTURE REMARQUABLE

À l’époque musulmane, tous les quartiers fonctionnaient de façon indépendante et chacun avait ses propres équipements. Les marchés étaient les installations les plus importantes. Il y en avait 3 types : le «Soko» (souk, rue commerçante d’influence arabe), l’«Alcaiceria» (marché impérial) et l’«Alhondiga» (auberge pour commerçants itinérants). Ces constructions sont typiques de la culture arabe importée en Andalousie. L’Alcaiceria était un petit quartier commercial avec un plan orthogonal et des rues étroites. L’Alhondiga «Corral del carbon» construite au 13ème siècle sur 3 niveaux est la plus connue du centre-ville. Ces grandes installations étaient situées dans la zone basse de la ville. De même, les Bains Arabes grenadins sont les plus anciens conservés en Espagne. Ils y sont réputés car associés à la culture locale andalouse de détente, de loisirs.

rue de Souk commerçant

rue de Souk commerçant

L’HABITAT

patio de l'école d'architecture de Grenade ETSAG

patio de l’école d’architecture de Grenade ETSAG

Dans chaque maison grenadine, le patio est un lieu important qui rassemble. Les appartements se développent autour de cette cour. C’est une manière de se centrer vers l’intérieur du bâti et de se protéger les regards extérieurs. Le patio est entouré de galeries ouvertes en arcades. La limite entre l’intérieur et l’extérieur est fine, les espaces peuvent s’imbriquer et multiplier les fonctions.

LES JARDINS

Inspirés des jardins de l’Alhambra, les Carmen sont des propriétés privées renfermant un jardin luxuriant entre ses hauts murs. Les émirs nasrides cherchent à y créer une image du paradis sur terre, ils le font en jouant avec subtilité de l’espace, de la lumière, de l’eau et de l’ornementation. On retrouve facilement aujourd’hui l’influence musulmane dans la manière d’utiliser l’eau dans les palais et jardins. C’était à l’époque un symbole de luxe dans ces zones aux apparences désertiques. L’eau est une qualité indispensable pour mettre en valeur son environnement. Elle permet un apport à la fois pratique, symbolique et esthétique, de manière plus ou moins contrôlée. Les reflets de l’eau offrent des qualités architectoniques en mettant en tension par symétrie le monde réel avec son architecture et le monde irréel, inversé, déformé à la surface des bassins. On ouvre ainsi le jardin à une nouvelle dimension. Il en semble agrandi et plus complexe. Les mouvements de jaillissement et d’ondulation animent l’espace, l’eau y semble l’actrice principale et la fontaine met en valeur le cadre de l’action, le théâtralise pour focaliser l’attention. Les Carmen contrôlent les conditions climatiques des espaces intérieurs grâce à l’architecture et aux bassins d’eau : l’épaisseur des parois, la végétation et l’eau créent une stabilité thermique.

Séjour en mobilité du 02/09/2014 au 31/07/2015

Référence : Prise de notes des cours d’Histoire urbaine à l’école d’architecture de Grenade ETSAG

Photographies : Mélina Lemoine

Cartographies : documents fournis en cours de Restauration à Grenade

Mélina Lemoine