Les bâtiments dont nous allons parler sont une intervention de l’architecte Hans Scharoun à Stuttgart en 1959. C’est la première construction réalisée par l’architecte après la 2ème Guerre Mondiale, et il met en pratique toutes les conclusions auxquelles il est arrivé le long de beaucoup d’années de travail et investigation. Ce complexe résidentiel se situe dans une localité très proche de Stuttgart, où la relation entre la construction et l’entourage immédiat se fait par la combinaison de deux typologies contraires : la tour verticale et le bâtiment linéaire en gallérie.

HANS SCHAROUN

Scharoun est né à Bremen en 1893. Bremen est une ville portuaire, raison par laquelle on pourrait imaginer une certaine influence de l’architecture navale dans son œuvre. Après avoir obtenu le diplôme d’architecte puis il d’avoir commencé à diriger une commission consultative en travaux de reconstruction en Prusse,  il commence à exercer comme architecte. Il se mit en relation avec des courants expressionnistes. Il fut professeur à Breslau entre 1925-32, les années de son étape rationaliste. Depuis 1926 jusqu’à 1932 il a travaillé à Berlin avec Adolf  Radling puis il rentra dans le groupe Der Ring, ce qui lui donna la possibilité de faire une maison unifamiliale à l’exposition de la Werkbund en Weissenhof en 1927.  Sa construction la plus importante de l’époque reste néanmoins ses blocs d’habitation dans la siedlung Siemensstadt à Berlin, entre 1929 et 1930.

À partir de 1932 il travaille dans une agence particulière. Pendant le régime national-socialiste (1933 à 1939, début de la 2ème Guerre Mondiale), son œuvre se réduit à certaines maisons unifamiliales, occasions qu’il saisit pour mettre en pratique son innovatrice idée d’architecture qu’il travailla et débâtit dans plusieurs projets qu’il présenta à des concours mais aussi dans ses aquarelles utopiques. Après la 2ème Guerre Mondiale, il fut désigné directeur du Département de Construction et de Logement du Grand Berlin, et en 1946 il commença à travailler avec le groupe « planification collective » avec lequel il élabora une proposition de reconstruction de la ville. Cette même année,  il occupa la chaire d’Urbanisme de le Tecnnische Universität de Berlin, qu’il occupa jusqu’en 1958. Il écrivit pour critiquer la normative étouffante qui s’est développé après la guerre, en évitant tout progrès naturel de l’architecture en même temps qu’il préconisait l’investigation à partir de la pratique (expositions comme celle du Werkbund).

Enfin, après des années de réflexion théorique et trente-neuf années d’expérience, il commence à mettre en pratique ses idées avec la construction du groupe résidentiel Roméo et Juliette, réalisé entre 1954 et 1959. Cette œuvre va condenser toutes les conclusions tirées le long de toute sa trajectoire :

-sa position en faveur des constructions en hauteur

-la production de logements dans des groupes remarquables qui s’éloignent de  l’uniformité et la production en masse

-la liberté que permet la promotion privée pour expérimenter en s’éloignant des normatives strictes

-la continuité entre le logement et la ville

-l’architecture comme activité intellectuelle d’ordre politique, étant une forte influence dans l’éducation et le développement de la société.amaramenouche@hotmail.fr

Toutes ces nouveautés furent appliquées depuis des systèmes de construction industrialisés, sériés et économiques, ce qui lui permit de démontrer que l’austérité pouvait être liée à une architecture ambitieuse, en montrant un chemin optimiste pour le logement social.

Depuis la construction de ce bâtiment il continue dans la même ligne, en avançant dans la progressive approximation entre le logement de promotion privée et de promotion publique que la société d’après-guerre avait besoin.

CONTEXTE DE L’INTERVENTION

La pensé du mouvement moderne se développe en tenant en compte la grande demande de logements et d’équipements sociaux suite à la période entre les deux guerres, et surtout après la 2ème Guerre Mondiale. On révise les théories de la cité-jardin et une culture hygiéniste se développe, en insistant sur la relation avec la nature : la croissance des villes se fait à travers d’élargissements ordonnés par la planification urbaine et les normes urbanistiques, ainsi que la normalisation de la construction. C’est dans ce contexte que Scharoun propose la maison à différentes échelles où l’unité résidentielle est la maison unifamiliale qui permet son groupement en bâtiments collectifs et quartiers, pensés comme une partie indissociable de cette maison collective. Il a une idée décentralisé de la ville organisée à travers de cellules d’habitation et parcs de logements, qui se réfère au quartier lui-même comme organisme en autonomie par rapport à la ville, formée de quartiers.  Ce bâtiment est un test complet de son idée de la ville réduit à l’échelle de bâtiment. Les bâtiments qui contiennent les locaux de services, libérés des législations strictes des logements, peuvent être utilisés comme éléments singuliers pour la configuration du lieu, mais aussi le type d’habitation peut être utilisé pour caractériser le lieu et lui donner une image unique.  On retrouve ainsi dans les images créées un lien avec ses origines expressionnistes et ses aquarelles utopiques.

 

CARACTÉRISTIQUES DE L’INTERVENTION

Relation avec le territoire et l’espace public

Ces deux bâtiments étaient contenus dans un projet plus vaste qui ne s’est finalement jamais réalisé. En premier lieu, on a construit la tour qui se situa dans la partie la plus visible, comme élément représentatif du concours.  Ils sont situés dans l’extension vers l’est de Zuffenhausen, une petite localité allemande à quinze minutes en tramway de Stuttgart. Sa position dans la parcelle est compliquée : il s’agit d’une parcelle de bord entourée de voies de communication inter-municipales mais avec une position privilégiée sur le territoire. La parcelle limite au sud avec la Haldenrainstrasse, une avenue principale par laquelle passe le tramway métropolitain avec un arrêt dans le carrefour avec  la Schoacher strasse. Vers l’ouest on retrouve le centre-ville de Zuffenhausen et vers le sud la colline de la Weissenhofsiedlung (et derrière elle, le centre de Stuttgart). Les vues les plus intéressantes coïncident avec l’orientation optime pour profiter au maximum la lumière naturelle et l’énergie du soleil. La bonne organisation du projet permet l’organisation des logements, le parking, les locaux de services et commerciaux dans une parcelle relativement réduite. Deux typologies antithétiques : la tour verticale et le bâtiment linéaire en gallérie s’organisent en différents espaces jouant différentes fonctions ce qui produit une grande circulation entre eux, en multipliant les expériences dans ce lieu.

Plan de Situation

Plan de Situation

Rez-de-chaussée

Rez-de-chaussée

Les deux bâtiments se mettent en relation de façon différente avec le sol et l’espace urbain qui les entoure. Le « Juliette », avec une plus grande occupation du sol et une hauteur plus basse se situe dans la partie la plus intime de la parcelle, en contact avec le parc voisin où s’établissent les équipements du quartier comme le collège où la piscine couverte. Le bâtiment se courve pour s’approprier d’une partie du jardin qu’il « enveloppe » et convertit en un terrain borné, un endroit pour les rencontres des voisins dans lequel les enfants peuvent jouer en restant protégés de l’extérieur. Son rez-de-chaussée n’est pas destiné aux locaux commerciaux mais aux logements qui, dans certains cas, perdent leur terrasse caractéristique pour faire rentrer le jardin communautaire. L’accès et les installations se trouvent à un niveau inférieur depuis  Haldenrainstrasse. Cette différence de niveau permet de créer des terrasses dans les jardins situés vers le sud qui sont traités comme un parc urbain : tracés sinueux, végétation touffue… Ils sont ainsi séparés en hauteur du niveau de l’avenue Haldenrainstrasse, en accentuant la différence entre la circulation routière, la circulation piétonne et les zones publiques pour les voisins. La rue située en arrière, qui connecte la parcelle avec le quartier voisin,  a une relation beaucoup plus directe avec l’espace public : un besoin s’avère de protéger l’intimité des espaces ouverts : les parkings et des locaux commerciaux sont alors situés le long de cette rue, de façon à créer un filtre entre la rue et l’intérieur de la parcelle.

Parc de l'intervention

Parc de l’intervention

Relation du bâtiment Juliette avec le jardin

Relation du bâtiment Juliette avec le jardin

Cour "intérieure" du bâtiment Juliette

Cour « intérieure » du bâtiment Juliette

Parkings

Parkings

Au contraire, le « Roméo » a une relation beaucoup plus directe avec l’espace public. Vertical et svelte, il est situé tout à l’ouest de la parcelle qui a des dimensions plus réduites (la parcelle a une forme trapézoïdale). C’est le point de confluence des trois voies qui limitent la parcelle es’: c’est le meilleur endroit pour placer l’activité commerciale qui se développe non seulement au rez-de-chaussée mais aussi au sous-sol et dans une partie du premier étage.

Les deux bâtiments ont des accès par différents endroits. Les espaces de relation avec l’espace extérieur font prendre conscience aux habitants qu’ils sortent de son ambiance domestique et aux visiteurs qu’ils rentrent dans une propriété privée.

Typologie résidentielle:

Coupes

Coupes

On va maintenant rentrer dans l’organisation particulière des deux bâtiments. D’une part, le bâtiment Roméo (la tour) contient les logements les plus grands, plus appropriés pour les grandes familles et aussi des petits appartements et studios dirigés à personnes indépendantes. Dans les de cas on suppose une utilisation fréquente du restaurant et du service de laverie. Dans le bâtiment Juliette on retrouve les logements de taille moyenne, pensés pour les familles avec des petits enfants qui utiliseraient plus le jardin entouré par le bâtiment et qui se rencontreraient dans les escaliers et les galléries.

Le bâtiment Juliette, organisé dans un plan courbe, comme nous l’avons vu, favorise les appartements organisés en éventail qui réduit les espaces de service en donnant une place prépondérante aux chambres principales situées à l’extérieur et cherchant l’indépendance. Scharoun avait déjà utilisé ce plan en éventail dans ses maisons unifamiliales. Ici, elle s’adapte à une solution standard qui peut être répétée pour revendiquer une plus grande liberté face aux strictes normatives qui réduisaient les possibilités de l’architecture pour les logements collectifs.  Les appartements sont personnalisés par des détails, notamment les terrasses en auvent. Les escaliers, les portails, les galléries…etc cherchent aussi à devenir particuliers et à être traités comme extensions de l’espace d’habitation. Les communications verticales de ce bâtiment s’organise par une structure de béton. Il se crée un espace libre à chaque étage, illuminé naturellement. Sa surface est presque aussi grande que celle d’un appartement (on voit ainsi l’importance que l’architecte donne à ces espaces). La hauteur de ce bâtiment varie de cinq étages (en relation avec le parc) à huit étages dans l’espace intermédiaire pour arriver à douze étages (en relation avec les dix-neuf étages du Roméo).  Les logements s’ouvrent vers le sud, ce qui permet une efficacité énergétique maximale, ainsi qu’une illumination naturelle optimale et des vues privilégiées sur la ville. L’organisation convexe des logements réduit l’interaction entre les voisins. Les terrasses proposent une chambre extérieure qui témoigne aussi d’une indépendance recherchée dans les logements par l’architecte.  Comme contrepoint de cette intimité, on retrouve les espaces libres dont on a parlé, qui incitent à une relation de voisinage.

Gallérie du bâtiment Juliette

Gallérie du bâtiment Juliette

Dans le bâtiment Roméo, l’espace distributeur vertical est plus réduit. L’organisation du plan cherche aussi pouvoir profiter du maximum de façade pour les chambres principales, en mettant les services autour du couloir intérieur. Même si cet espace est différent de celui du bâtiment Juliette (qui possède une partie horizontale dans la gallérie qui favorise les relations entre les voisins), il est quand même traité de façon à être un endroit agréable qui ne fasse pas fuir les usagers de cet espace (lumière et ventilation naturelles et vues sur l’extérieur). L’alternance des types de logements crée un rythme en façade. Le plan en éventail et les formes en angles accentuent la volonté d’individualité des unités résidentielles en évoquant l’indépendance de la résidence familiale isolée.

Le traitement extérieur se fait en utilisant divers matériaux et couleurs qui décomposent le volume en une somme d’éléments plus petits qui permettent de diluer le bâtiment et réduire la perception de sa taille en l’approximant à une échelle intermédiaire, plus humaine et proche du modèle de la cité-jardin. Une grande importance est donnée à la plasticité de l’ensemble.

Bâtiment Roméo

Bâtiment Roméo

Bâtiment Juliette

Bâtiment Juliette

 

RÉFLEXION SUR L’ÉTAT ACTUEL

Actuellement on est en train de réaliser quelques réparations dans le bâtiment Juliette mais le tout se conserve néanmoins en bon état. Les commerces qu’il avait prévu continuent dans les locaux prévus, les espaces extérieurs continuent à être utilisés… On peut dire de cette œuvre qu’elle s’est maintenue au cours du temps. Ceci est possible grâce à plusieurs facteurs : un bon projet, une bonne qualité constructive, une bonne réalisation et un bon moment de l’industrie de la construction. Il faut aussi considérer le degré de satisfaction des habitants qui n’ont pas eu besoin de transformer l’œuvre, où l’on fait avec respect et soin.

Commerces du rez-de-chaussée du bâtiment Roméo

Commerces du rez-de-chaussée du bâtiment Roméo

Travaux au bâtiment Juliette

Travaux au bâtiment Juliette

Bibliographie:

Grupo residencial Romeo y Julieta en Zuffenhausen , 1954-59. Un ensayo clave de Hans Scharoun. Rosa María Añón Abajas

Habitar la noche. Hans Scharoun y la casa unifamiliar como vehículo de exploración proyectual en los años del Tercer Reich. Rafael Guridi García

Auteur: Alicia Vicente–  aliciavicentegil@gmail.com

Voyage réalisé en Octobre 2014