Ce lotissement, regroupant maisons individuelles et immeubles de faibles hauteurs, a été construit sur la colline du Killesberg dominant la ville de Stuttgart au Nord. Mies Van der Rohe, architecte en chef du projet, créa ce programme de logements pour des familles de travailleurs “modernes”, à l’occasion d’une exposition pour l’association du Deutscher Werbund. La volonté était de promouvoir la construction d’habitations à la rencontre entre l’Art et l’industrie, en jouant notamment sur les aspects fonctionnels des logements, la rationalité et la rentabilité des systèmes constructifs, l’emploi de matériaux habituellement utilisés pour l’architecture industrielle, ainsi que des agencements intérieurs modulables. Ce fut aussi, pour les 17 architectes européens invités par MVDR, à l’instar de Walter Gropuis, Le Corbusier, JPP Oud, Behrens ou encore Scharoun, l’occasion de rompre avec l’ornementation des façades très présente dans l’Art Nouveau par exemple, en employant des formes cubiques simples et pour la plupart monochromes. La construction de ce lotissement, en 1927, et l’exposition très visitée qui suivie, fut un élément fondateur dans la génèse des Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM) et de l’émergence du mouvement moderne en général.

Le plan masse situé à l’entrée du site nous permet d’appréhender l’organisation très fonctionnaliste des logements les uns par rapport aux autres, dans une logique d’orientation Nord-Sud. Il dispose alors les gabarits les plus imposants sur le haut de la colline, au centre du lotissement, et libère les parcelles en contrebas pour des logements individuels ouverts sur le grand paysage. Fortement critiqué par les traditionalistes allemands tels que Paul Bonatz, ceux-ci ont même dans les années 1930, en pleine période nazie, été jusqu’à comparer le quartier à une “ville arabe” du fait de ses volumes blancs, compactes, cubiques, et demander sa destruction.

Mies comme première entrée…

façade Nord - MVDR

façade Nord – MVDR

C’est par le haut de la colline que nous pénétrons dans le site, adossé à un large parc forestier. Nous longeons des immeubles issues de la reconstruction d’après guerre avant d’aborder par le coté l’immeuble central de Mies Van Der Rohe. Ce long bâtiment blanc frappe immédiatement par sa volumétrie parallélépipédique dont les ouvertures aux meneaux en aciers sont seules à rythmer la composition de la façade sur rue. Les cinq niveaux (comprenant sous-sol et attique) sont desservis par des paliers en demi-niveaux, permettant d’offrir, depuis celui de la rue, une lumière naturelle à chacun d’entre-eux. Une légère casquette maçonnée signale l’entrée des différentes colonnes de distribution sur rue. La volonté de l’architecte de respecter une orientation du bâti Nord-Sud génèrent un retrait paysager qui s’élargit en remontant la rue pour devenir un espace entre-deux, entre privé et public. Il ne nous semble cependant pas qu’il y ait de réel usage ou appropriation de ce dernier. La dimension des ouvertures traduit quant à elles directement les proportions intérieures et ne laissent apparaître que les parties maçonnées structurantes en élévation, à savoir les jonctions avec les murs de refend et les allèges des fenêtres. L’édifice illustre parfaitement la notion de plan libre avec des appartements aménagés au moyen de cloisons mobiles. Ils présentent tous une pièce d’habitation centrale, à laquelle communique une chambre à coucher, mais possèdent chacun leur plan propre.

façade sud - MVDR

façade sud – MVDR

Nous contournons l’immeuble pour découvrir une façade Sud toute aussi monotone, différant par un jeu de balconnets, et un dernier étage attique dont le toit, ajouré, laisse apparaître de généreux solariums.

L’habitat groupé selon Oud

Les cinq habitations groupées de JJP oud situées en peu plus loin, ne sont en réalité que la répétition d’un seul et même motif, celui d’une maison en ‘L’ sur deux niveaux. Là encore, une mise à distance de l’espace public avec l’espace d’entrée s’effectue au moyen d’une petite cour. La composition globale nous donne plutôt l’impression d’un grand volume cubique, ici encore maculés de blanc, auxquelles sont adjointes des extrusions de plus faible hauteur.

On peut apercevoir à l’étage l’expression un des principes fondamentaux de l’architecture moderne à savoir la façade libre. Une succession de poteaux permet, dans la partie atelier de l’étage, de libérer la façade, laissant ainsi filé une ouverture en bandeau panoramique. Cette horizontalité rompt avec le rythme très vertical de ce jeu du pleins et de vides que nous avons évoqué précédemment.

Habitat groupé de JJP Oud

Habitat groupé de JJP Oud

La maison jumelée selon Le Corbu

Située au contrebas du lotissement, les maisons doubles s’érigent dans la pente en un volume unique, au rapport frontal. On peut voir ici l’application des principes de la maison DOM-INO que Le Corbusier énonçait quelques années auparavant, avec une maison sur pilotis, une façade libre marquée de fenêtres bandeaux, un plan libre et un toit terrasse.

D’aspect extérieur, malgré sa finesse et sa hauteur, ce sont les lignes horizontales du soubassement évidé en rez-de-chaussée, des ouvertures horizontales au premier étage, ainsi que du cadre ouvert sur toit, qui prédominent. C’est aussi le seul édifice du Weissenhof à intégrer de la couleur, avec notamment le volume d’entrée en retrait peint d’un bleu gris sombre qui accentue l’effet d’un volume en suspension, détaché du sol.

Maisons jumelées de Le Corbusier

Maisons jumelées de Le Corbusier

Cette maison a aussi permis à l’architecte d’expérimenter les modifications spatiales des pièces en fonction de leurs usages diurne et nocturne: la grande pièce de vie peut s’ouvrir entièrement ou être divisée en deux espaces dortoirs avec des lits escamotables au moyen d’une cloison coulissante, dont l’extrémité pivotante entre la façade et le poteau, joue le rôle de porte en configuration fermée. L’aspect « wagon-lit » ainsi créé et le confort assez spartiate firent, à l’époque, l’objet de critiques peu flatteuses. Clairement en avance sur son temps, la modularité et l’évolutivité des espaces en fonction des temporalités, dans une optique d’optimisation et rationalisation de l’espace est aujourd’hui recherchée dans de nombreux projets contemporains.

En revenant sur nos pas nous passons devant la maison de scharoun, seule réalisation à présenter des formes courbes. Elles suivent néanmoins le dicta “form follows fonction” puisqu’elles ne sont que l’expression volumétrique de la cage d’escalier hélicoïdale desservant le premier étage. L’autre particularité de l’architecture de Scharoun est l’organisation intérieure des espaces qui sont délimités par des différences de niveaux, plaçant alors le salon en surélévations, sans nul doute dans l’objectif de surplomber la rue et plus largement la ville.

Maison dessinée par H. Scharoun

Maison de H. Scharoun

Un retour en arrière?

Après l’exposition, le Weissenhof fût peu visité et des logements comme la maison jumelée de Le Corbusier furent inoccupés pendant longtemps, trop en rupture avec les modes d’habiter du début du siècle passé : les poteaux métalliques usinés renvoyant à l’industrie, aux matériaux peu nobles, le dépouillements des façades et espaces intérieurs, ainsi qu’une très forte luminosité due à l’emploi des fenêtres en bandeau, furent autant d’éléments rédhibutoires. Partiellement détruites à la suite des bombardements de la seconde guerre mondiale – l’armée allemande ayant installé un canon sur la collin – les 11 maisons restantes, délaissées, se sont détériorées. Ce n’est qu’en 1958, que suite à une prise de conscience de l’intérêt architectural, historique et patrimonial ces réalisations, qu’une campagne de restauration leur a redonné leur aspect d’antan.

Nonobstant, ce qui nous questionne au moment de quitter le site, c’est bien l’héritage que nous avons tiré d’un tel projet, d’un point de vue formel et urbanistique, en France notamment.  En effet, au regard des logements qui ont fleuris en périphérie des villes dès les années 60, suite aux politiques d’aides à l’accession, jusqu’à nos jours pour certains lotissements, c’est bien une forme de traditionalisme qui domine dans ces habitations, avec des toits à double pente, des plans masse peu soucieux du contexte et des logements à l’adaptabilité et évolutivité limitée.

Edouard Eriaud

Voyage à Stuttgart  du 14 au 19 octobre 2014.

Médiagraphie

– http://www.stuttgart-tourist.de/fr/a-la-cite-weissenhofsiedlung

– https://fr.wikipedia.org/wiki/Wei%C3%9Fenhofsiedlung

Weissenhof 1927-87, Karl Kramer, 1984