Prague est une ville de mystères, capitale de la bohème, elle regorge de secrets ésotériques et occultes. En effet, du Moyen Âge à la Renaissance, la ville de république tchèque n’hésitait pas à montrer et mettre en avant son intérêt pour cet art divin : l’alchimie. De nombreuses légendes racontent que de l’or fut produit dans la ruelle d’or au début du XIXème siècle ou encore qu’un golem hantait les rues du Josefov (le quartier juif de la ville) une fois la nuit tombée. Le mot alchimie provient du mot arabe al-chemi signifiant « chimie divine ». Attribuée à Hermès Trismégiste qui en parla dans son ouvrage La Table d’émeraude, elle est la véritable source d’inspiration de la pensée hermétique et néoplatonicienne du Moyen Âge et de la Renaissance. L’alchimie est divisée en deux branches : une spirituelle et une philosophique. L’alchimie de laboratoire (branche philosophique), est divisée en trois grande œuvres : nigredo « œuvre au noir », dissolution et putréfaction de la matière, albedo « œuvre au blanc », purification de la matière par la substance liquide et rubedo « œuvre au rouge », stage durant lequel on fabrique la pierre philosophale. Le principe de l’alchimie est de sublimer les matériaux de la nature en puisant les ressources qu’ils contiennent. Cette activité mystique, en plus de se retrouver dans le plan même de la ville, peut être comparée à la capitale tchèque. En effet, toutes les époques se confondent et se côtoient dans cet immense chaudron coupé en deux par la Vltava, le fleuve qui traverse la ville.

Prague est donc une ville où il fait bon se perdre, où l’on peut être surpris à chaque coin de rue. En ce sens, on peut lui trouver des airs de ressemblance avec Rome où chaque carrefour surprend, révélant une façade complètement différente de la précédente. Elle n’est cependant pas comparable en terme de détail, bien plus petite que la capitale italienne, on en fait facilement un tour touristique en trois jours. Regardons maintenant plus en détail comment à quel point cette capitale de la bohème est alchimique. Pourquoi aujourd’hui, peut-on dire que Prague est un mélange incroyable d’époque et de mouvement d’art et d’architecture ?

Tout d’abord, la ville est découpée en plusieurs parties. Celles qui constituent le cœur de Prague et qui vont vraiment pouvoir nous révéler ce mélange alchimique architecturale sont au nombre de quatre. La première située à l’ouest est Mala Strana, elle accueille principalement le château de Prague. Ensuite séparée par la Vltava, se trouve le Stare Mesto et le Josefov, la ville historique et le quartier juif. Enfin, entourant le Stare Mesto, nous trouvons le Nove Mesto, agrandissement orchestré par Charles IV visant à montrer que Prague pouvait continuer de prospérer et devenir une grande ville. Ces quatre quartiers constituent donc le centre de la capitale mais aussi le cœur historique, touristique et architectural de la capitale tchèque. Nous nous attarderons donc, aux détours de ces quatre quartiers, sur l’alchimie architecturale que nous offre à contempler cette ville.

 

L’ALCHIMIE JUSQUE DANS LE PLAN DE LA VILLE

 

Historiquement parlant, Prague fut construite sur les plans des lignes équinoxiales et solsticiales. L’axe Est ouest de la vieille ville, tracé par le passage des reliques de Saint Venceslas, saint patron de la bohême, liait le château et le vieux centre de commerce. C’est sous le règne de Charles IV que cet axe fut mis en valeur. Le roi avait scrupuleusement élaboré le rituel de couronnement sur cette voie et avait donné une signification précise à cette voie royale. En effet, Prague étant la capitale européenne de l’ésotérisme et de l’alchimie au XVII, Charles IV fit de cette grande route, une allégorie du processus de fabrication de la pierre philosophale, la route vers la pierre philosophale. La route royale entrait donc dans la vieille ville au niveau de la tour poudrière, seuil du chemin alchimiste, à l’est de la ville. Elle traverse alors les différents quartiers évoqués plus tôt et longe de nombreux bâtiments, décorations et sculptures évoquant les procédés alchimiques. Ainsi, l’on peut croiser la maison « à l’angle d’or », La vierge au lait maternel jaillissant, etc. La route royale s’en suit ensuite sur le pont Charles. Le pont Charles est le vecteur de cette route royale, il relie les quartiers Stare Mesto et Mala Strana, autrement dit la vieille ville et le château. Aujourd’hui, il est piéton et constitue le passage obligatoire pour les visiteurs. Autrefois, il constituait la route du cortège lors du couronnement d’un nouveau roi. Sur le pont, toutes les statues montrent l’ouest. Ce n’est qu’après le pont Charles que la voie royale se divise. Vers la droite, le château, symbole de la voie exotérique et à gauche, le pavillon de l’étoile, symbole de la voie ésotérique. Ainsi, sous le règne de Charles IV, l’alchimie avait même son importance jusque dans la conception urbaine de la ville.

Le pont Charles relie les quartiers Mala Strana et Stare Mesto. Il est exclusivement piéton.

Le pont Charles relie les quartiers Mala Strana et Stare Mesto, il est exclusivement piéton

PRAGUE ET LE TEMPS

Déconstructivisme

Plus que le côté magique et mystique de l’alchimie, c’est surtout la diversité architecturale qui va nous intéresser. Comme plusieurs ingrédients que l’on vient mélanger pour obtenir un tout, ces différents mouvements architecturaux ont fabriqué la ville de Prague. Ainsi, dans la même rue, les bâtiments typiques de la ville reconstruits au XXème siècle côtoient des bâtiments comme l’horloge astronomique du XVème siècle, des bâtiments du courant cubique sous le régime communiste ou encore un édifice déconstructiviste de Franck Gehry. C’est cette diversité qui rend la capitale tchèque si imprévisible et si incroyable à visiter.

Ainsi, dans tous les quartiers de la ville, plusieurs mouvements architecturaux se font face. L’exemple qui est surement le plus frappant est celui que nous avons vu en premier lors de notre visite. Placée un peu au sud du Nove Mesto, notre auberge de jeunesse se trouvait juste à côté de la maison qui danse de Franck Gehry. Le bâtiment de l’architecte américain fait face à la Vltava et fait l’angle de deux rues importantes. L’édifice déconstructiviste lie les deux bâtiments tchèques en offrant des façades assez sages. C’est dans l’angle que le bâtiment vient s’ouvrir et se déconstruire. Les façades viennent alors s’arrondir et se poser sur de gros poteaux de bétons pour laisser place à l’entrée. Deux excroissances arrondies s’ouvrent en angle, l’une plus sage du même langage que les façades et l’autre totalement vitrée. Ces deux parties semblent danser ensemble dans ce croisement très passant de la cité.

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La maison qui danse – Franck Gehry

Mais plus que l’architecture en elle même qui répond totalement au langage habituel de l’architecte, c’est son incrustation dans le contexte qui est particulièrement intéressante. Le bâtiment vient complètement rompre les façades typiques de la ville, extrêmement décorées dans leur style baroque et joue de cela pour offrir une surprise au passant.

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Art Nouveau

Un deuxième très représenté à Prague est celui de l’Art Nouveau. Particulièrement apprécié dans la capitale de la Bohême aux début du XXème siècle, ce mouvement a permis la construction de bâtiments extrêmement travaillés dans la capitale. Le meilleur exemple est celui de la maison municipale de Prague qui accueille, entre autre l’opéra de la ville, le bâtiment réalisé entre 1905 et 1912 a permis le regroupement d’un très large nombre d’artiste autour d’un même édifice. Ce dernier visait à affirmer le prestige de la ville et offre encore aujourd’hui à ses habitants un lieu de détente et de spectacle. A l’opposé du langage très tranché de Gehry, ce bâtiment art nouveau offre un spectacle de décoration notamment sur son seuil et sa façade principale ou dorures et peintures semblent faire partie du quotidien pragois.

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Encore une fois, ce langage d’un mouvement se trouve être sublimé par le contraste très fort qu’il opère avec la tour qui n’est autre que la tour poudrière. Les architectes ont d’ailleurs plutôt choisi de relier l’ancien bâtiment à la maison municipale. De cette manière, dans Prague, un bâtiment datant de 1445 (la tour poudrière) et l’autre du début du XXème siècle (maison municipale) ne forment plus qu’un seul édifice aux langages architecturaux pourtant si différents.

Tour poudrière en arrière plan et maison municipale en premier plan

Tour poudrière en arrière plan et maison municipale en premier plan

Cubisme

Un troisième exemple très parlant de mélange de langage architectural sont les nombreux bâtiments cubiques et rondo-cubiques construits dans la ville. En effet, Prague est l’une des rares villes européennes où le mouvement cubique, bien plus connu par son courant artistique, a aussi été présent dans l’architecture. De ce fait, ces bâtiments très bruts qui pourraient par leur emploi de manière brute et leurs formes très efficaces rappeler le discours du mouvement moderne. Les formes géométriques dictent alors le dessin des façades. Des traits simples viennent alors casser la trame chaotique de l’urbanisme pragois justement en construisant des bâtiments qui semblent alors trop normés, trop droits. Nous obtenons donc au milieu de cette ville principalement représentée par des bâtiments très décorés et soignés, des édifices bien plus bruts appelant au retour des formes élémentaires géométriques. Un exemple est cette confrontation marquante entre l’église baroque de Trojice construite en 1713 et le palais diamant cubiste construit en 1912 par les architectes E. Blecha et E. Kralicek. Ce contraste est d’avantage renforcé encore par l’auréole cubiste de la statue de Jean Népomucène entre les deux bâtiments. Cette auréole conçue par le sculpteur A. Pfeiffer en 1913 lie les bâtiments par son caractère sacré en lien avec l’édifice de gauche et par son mouvement avec l’édifice de gauche.

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Baroque

Un dernier exemple de ce mélange des genres est forcément le mouvement baroque, omniprésent dans la ville de Prague. Cependant, c’est dans le quartier Mala Strana que nous retrouvons les meilleures ambivalences temporelles. Ces contrastes forts se trouvent être, en effet, très présents aux alentours du château. Il faut alors entrer par une immense grille rococo pour ensuite faire face aux remparts.

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Grille d’entrée rococo du château de Prague

Les anciens remparts ont été remplacés par d’immenses bâtiments baroques qui entourent et enferment parfaitement la cathédrale. Ces façades austères créent des cours monumentales pour ces bâtiments qui représentent le pouvoir tchèque en place. C’est das l’une de ces cours que l’on retrouve, à côté d’un obélisque, la cathédrale de Prague. Initiée en 1344 et achevée en 1929, la gigantesque réalisation a traversé les siècles et se retrouve aujourd’hui cernée.

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La cathédrale de Prague dissimulée derrière les « remparts » baroques

Tous ces exemples montrent la complexité de l’architecture et des mouvements qui ont pu influencer la ville de la Bohême. Ces différents édifices offrent une visite inédite défiant le temps et les langages en architecture. Ils nous font néanmoins nous questionner sur l’impact de ce genre de mélange de styles sur l’image que peut avoir une ville, et plus précisément, une capitale aujourd’hui.

PALIMPSESTE : DE L’ALCHIMIE ARCHITECTURALE

Toute ces collisions d’époques et de langage nous amène à nous poser des questions patrimoniales. En effet, Prague semble toujours se reconstruire sur elle même sans pourtant vouloir supprimer et détruire ce qui était là auparavant. Comment avancer dans ces conditions ? Le palimpseste est une de ces solutions. Il offre la possibilité de construire à partir de l’existant, sur l’existant, avec l’existant. A Prague, on peut alors voir plusieurs exemples de palimpseste et de patrimonialisation. Certains éléments semblent considérés comme intouchables dans la ville. On évoquait la tour poudrière tout à l’heure, le pont Charles fait aussi partie de ces éléments emblématiques inviolables. Plus que le pont qui est difficilement touchable, ce sont ses portes, Est et ouest qui sont visées. Ainsi, on peut voir au niveau de la porte ouest la volonté de gagner le plus d’espace possible, sans pour autant abimer l’existant. La porte semble alors s’encastrer dans des bâtiments pourtant plus récents.

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Entrée ouest du pont Charles

Un autre exemple assez frappant est le centre commercial du palladium qui pose de grandes questions de patrimonialisation. Ici, malgré une façade où toutes les enseignes sont présentes, le réemploi de la façade passée est une volonté forte du bâtiment. Cette façade très grande donne sur la Namesti Republiky, grande place commerçante de la ville. Elle répond à tous les codes des bâtiments traditionnels de la ville par ses couleurs vives et ses fenêtres tramées qui ne sont pourtant qu’un décor de théâtre. En effet, un centre commercial très moderne s’ouvre juste derrière cette façade rose.

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Façade du centre commercial Palladium

Ces deux exemples nous montrent cette ambiguïté de la ville de Prague, voulant conservée son image de vieille ville majestueuse et mystérieuse qui pourtant recherche aussi le progrès. Des bâtiments très modernes et proposant de belles prouesses techniques et architecturales sont souvent mitoyens de bâtiments aux façades colorées typiques à Prague. Comment cette ville pourra t elle sortir de ce paradoxe propre aux villes à forte identité patrimoniale ? Ce sont des questions qui me sont souvent apparues lors de ma visite dans cette ville.

L’INSOLITE A PRAGUE

Pour terminer cet article, il faut rappeler une dernière fois le côté insolite de Prague à nous surprendre à tous les coins de rue. En 2000, elle est la capitale européenne de la culture et encore aujourd’hui, l’art et le mystère alchimique plane encore sur la ville. Une chose assez frappante est l’art très présent dans la ville. De nombreuses réalisations se posent et questionnent alors l’espace public et le passant, l’usager. Juste à côté de notre auberge de jeunesse par exemple, assises et sculptures démentes occupent l’espace public.

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Ce que j’ai beaucoup apprécié à Prague est aussi cette volonté de conserver une image mystique qu’a pu apporter les temps glorieux de l’alchimie. Cette volonté de magie se retrouve alors aussi mise en avant par l’art notamment au travers d’une très belle réalisation dans le hall d’entrée de la bibliothèque municipale en plein cœur du Stare Mesto : la colonne infinie. Une œuvre réalisée par l’artiste Matej Kren qui compte près de 8000 livres donne le vertige malgré son jeu de miroir. Prague conserve donc aujourd’hui son identité mystérieuse au travers de réalisations artistiques et de légendes urbaines.

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IDIOM – La colonne infinie

 Après cela, les moyens de transport peu couteux de la ville comme le métro permettent de se déplacer très rapidement dans la ville. Il faut cependant prêter un œil attentif aux arrêts de métro insolites et richement décorés qui se cachent sous le sol pragois. Ils ne sont pas sans me rappeler le travail très fin des portugais à Lisbonne ou chaque arrêt de métro était différent. Ici à Prague, chaque arrêt possède lui aussi son identité (en plus de son nom imprononçable.

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Enfin, je ne pouvais pas ne pas parler de l’élément qui fait de Prague une ville tout à fait insolite : la surconsommation de bière par ses habitants et les nombreux bars de la ville. La bière se trouve être moins chère que l’eau en République Tchèque. Et c’est dans des caves semi enterrées que prennent alors place les différents bars de la ville. Une ambiance très particulière, où, même si je suis non fumeur, la fumée des cigarettes qui ne sont pas interdites ajoutent au folklore de ces bars enterrés.

Prague est la ville de l’alchimie, de nombreux mouvements architecturaux se font face et donnent à voir une ville magique et insolite. Le patrimoine historique répond et accompagne les nouvelles réalisations dans une ville qui semble avoir assez de mal à vouloir passer à des architectures plus contemporaines. Le bâtiment important le plus récent étant la maison qui danse de Gehry, on voit une certaine réticence de la part de la capitale tchèque à se mettre au goût du jour. Cependant, les nombreux secrets qu’elle enferme offrent une visite des plus magiques et belles que j’ai faite me rappelant assez souvent les paradoxes de Rome…

Bibliographie :

Prague insolite et secrète, Martin Stejskal, 2013
Prague, au cœur de la Bohême, Jean-Louis André, 1995
15 promenades dans Prague, Léon de Coster et Xavier de Coster, 1992
Prague, Avenir d’une ville historique capitale, Jean Viard, 1992

Auteur : Gwenn Moreau – gwenn.moreau@yahoo.fr

Voyage effectué du 15 au 20 février 2015