Lors d’un voyage avec l’École d’Architecture de Lille lors de ma licence, nous nous sommes rendus avec nos professeurs de studios en Belgique, dans plusieurs villes qui faisaient l’objet d’un parcours dont nous évoquerons ici deux projets. Tout d’abord, le cimetière de Bernardo Secchi et le crématorium d’Eduardo Souto de Moura + Sumproject situé à Courtrai (sur le même site) puis l’église de la paroisse Sainte Rita à Harelbeke, réalisée par les architectes Leon Stijnen et Paul de Meyer. Il s’agit dans les deux cas d’édifices spirituels, exprimés par une architecture moderniste, notamment caractérisée par l’usage du béton dans on peut voir les différentes utilisations, parfois au service de la monumentalité ou à l’inverse du minimalisme. Nous avions également visité d’autre édifices religieux de différentes époques, comme le béguinage de Courtrai ou encore la Chapelle Kerselare de l’architecte moderniste belge Juliaan Lampens.

La Chapelle Kerselare de Juliaan Lampens (photo : Claire Romsée)

Le cimetière et le crématorium de Courtrai

C’est un projet conçu en 2005 et construit entre 2010 et 2011. Il s’agit d’un crématorium réalisé par l’architecte portugais Eduardo Souto de Moura dans un site existant avec un cimetière conçu par Bernardo Secchi en 1990. Celui-ci et son associée Paola Vigano ont mené toute une réflexion à l’échelle urbaine pour la ville de Courtrai dans les années 1990. Un des enjeux était de restructurer la circulation, en lien avec le Canal de la Lys qui longe les axes principaux de circulation. Le projet proposait de favoriser les espaces publics et de travailler avec la déclivité, facteurs que l’on retrouve dans le projet du cimetière, qui s’inscrit dans cette politique de réaménagement urbain. Le cimetière s’implante à la sortie de la ville, à la frontière avec le monde rural. Il est constitué d’un paysage en gradins qui s’oriente vers les plaines agricoles et les réserves d’eau.

Les plaines agricoles et la réserve d’eau qui s’étendent au pied du cimetière et font une transition douce.

Le cimetière s’organise en terrasse et s’inscrit dans la topographie naturelle du site, en pente douce. La relation des deux projets au paysage est très ancrée et se traduit principalement dans son lien fort avec la topographie. Le crématorium est comme enterré dans le sol puisqu’il y a une forte différence de niveau existante entre la rue et la plaine sur laquelle s’installe le cimetière. Le crématorium est au même niveau que le cimetière. C’est un choix marqué qui exprime l’intention forte de s’y rattacher. Je pense que le sentiment de continuité entre le cimetière et le crématorium montre la réussite de ce projet puisque le plus récent met en valeur le plus ancien et respecte ainsi la qualité de l’existant par une intervention qui se veut minimaliste dans son expression.

Expérience vécue

La toiture du crématorium s’inscrit dans la continuité du niveau de la chaussée. On voit seulement l’émergence de la cheminée depuis la rue, qui fait alors figure de signal depuis l’espace public. Il y a toute une réflexion sur le parcours dans le projet et les seuils qui permettent d’accompagner les familles en deuil. L’entrée se fait alors par une rampe qui mène aux salles de cérémonies. On peut associer toute une symbolique au fait de descendre pour se rapprocher de la terre et au bâtiment qui s’ouvre ensuite sur des vues sur le paysage. C’est un parti pris fort qui je trouve correspond au programme liée à la thématique de la mort entre cimetière et crématorium. Dans les deux cas, le corps du mort revient à la terre et l’on ressent cette idée à travers le projet. Il y a une sorte de réinterprétation du rite funéraire occidental dans la promenade architecturale.

Le cimetière en terrasse avec en fond le crématorium qui tend à disparaitre avec l’effet de pente dont on distingue l’émergence à gauche.

Une fois sur place, on a réellement l’impression que le crématorium et le cimetière sont un seul et même projet de par l’absence de distinction entre les deux interventions : matériaux, couleurs, formes… C’est donc l’opportunité pour inventer une nouvelle typologie de bâtiment en réinterprétant le programme. J’ai lu qu’on pouvait comparer le projet à une maison, dans l’intention de l’ambiance crée. Malheureusement, je n’ai pas pu rentrer à l’intérieur puisqu’il est assez difficile de prévoir les horaires des cérémonies et pour respecter les familles, on ne peut pas rentrer en pleine cérémonie. J’ai néanmoins pu voir des photos de l’intérieur et l’impression qui s’en dégage et qui est décrite est le calme et la sérénité. Il y a une attention particulière à la lumière naturelle. D’après les photos, on peut faire un parallèle avec le traitement de la lumière dans les espaces muséographiques : souvent par le haut, avec des puits de lumière et une diffusion indirecte pour éviter l’éblouissement. Dans ce projet, l’éclairage a dû être une contrainte puisque le bâtiment est enterré mais donc les architectes se sont saisis pour en faire une qualité. Cela explique le plan organisé en longueur afin de bénéficier d’ouvertures généreuses sur la façade tournée vers le cimetière puisque l’autre adossé au sol est par conséquent aveugle. Cela produit également une horizontalité marquante que l’on perçoit surtout de l’extérieur : le crématorium devient alors comme une nouvelle strate dans le paysage en s’y intégrant.

La paroisse Sainte Rita à Harelbeke

Vue depuis l’entrée de l’église.

Ce projet a été réalisé par Leon Stijnen et Paul De Meyer en 1963-66. Il s’agit d’une église située dans une commune de petite taille. Depuis l’extérieur, c’est un projet que l‘on peut qualifier de monolithique avec sa forme en pyramide tronquée sans ouvertures visibles clairement depuis l’extérieur. Sa hauteur en fait un véritable repère dans le paysage et sa hauteur impose fièrement la place de l’édifice religieux dans la ville. C’est une réinterprétation de la forme traditionnelle associée aux bâtiments religieux souvent surmonté d’un clocher faisant office de signal dans le voisinage. Dans le nord de la France et en Belgique, il y a une grande importance attachée aux beffrois, ces hautes tours, symboles de la puissance cette fois ci municipale qui était à une époque le signe de la richesse de la commune et en faisait la fierté des habitants. On peut remarquer que les différents pouvoirs : politique, administratif et religieux utilisent tous la verticalité à travers l’architecture pour affirmer leur pouvoir et leur place relative dans la société, et notamment leur poids face aux autres.

L’ouverture zénithale qui baigne de lumière l’espace intérieur de l’édifice.

Pour entrer à l’intérieur, il faut passer le porche étroit et bas qui marque l’entrée en faisant un réel effet de seuil. Quand enfin on pénètre à l’intérieur, on est surpris de découvrir un espace baigné de lumière. Presque instinctivement, on lève la tête pour comprendre d’où vient cette lumière et l’on découvre un grand puits de lumière, ouverture formée par le point de jonction des parois inclinées. La structure qui supporte l’ouverture est formée par des voiles qui se croisent et assure également un rôle de filtre qui baigne l’espace de faisceaux lumineux. La structure est en béton armé mais à l’intérieur, les murs sont recouverts de panneaux de matériau fibré compressé qui peut se rapprocher du caoutchouc. Je ne me souviens plus du terme exact et peu de sources écrite à propos de cet édifice existent, il est donc difficile de trouver toutes les informations notamment sur sa structure et sa matérialité. Il y a un seul matériau pour l’intérieur ce qui produit une unité visuelle et poursuit l’idée de monolithe que l’on perçoit depuis l’extérieur. On peut ressentir une sorte d’élévation vers le haut, (naturellement attiré vers la source de lumière) et on a tendance à rester la tête en l’air en faisant le tour et en essayant de trouver le meilleur angle en fonction de la luminosité pour prendre une belle photographie, ce qui est un exercice qui se révèle être finalement assez difficile. On peut dire que c’est une réinterprétation de la verticalité de la lumière comme autrefois dans l’architecture des cathédrales gothiques faisant une place particulière à la lumière comme symbole du rapport avec le ciel, très présent dans la religion catholique occidentale.

Croquis de l’architecte qui exprime l’intention monolithique depuis l’extérieur.

Alors que le projet de Courtrai s’insère et tend à disparaitre dans le paysage, l’église, elle, s’élève vers le ciel et affirme sa position par sa monumentalité dont l’échelle peut sembler presque disproportionnée par rapport à l’échelle du territoire dans lequel il s’inscrit et donc la communauté locale que l’on peut estimer au vue de la taille de la commune. On peut donc noter un fort contraste dans l’utilisation du béton, minimaliste pour le cimetière et le crématorium et au contraire dans une expression formelle monumentale pour l’église.
 
Claire Romsée


Date voyage : 11 mai 2018

Photographies de l’auteur.

Bibliographie
Meri de la Maza Ricardo (dir.). Crematorium « Uitzicht ». Kortrijk. Belgica. Revue TC cuadernos tribuna de la construccion. Eduardo Souto de Moura Tomo II. Equipamientos y Proyectos Urbanos 2004-2019. 2018, déc 138-139, p. 244-269.

Rebelo Camilo. Crematorio « Uitzicht » em Kortrijk. In : Mesa, Eduardo Souto de Moura, 30 anos projectos seleccionados. Casal de Cambra : Caleidoscopio, 2011, p. 183-200.

Médiagraphie
http://www.eglisesouvertes.be/ , consulté le 22/04/19.

« COURTRAI ET LOUVAIN La circulation guide les projets urbains en Belgique. » https://www.lemoniteur.fr/, consulté le 11/06/19.

« Sint-Ritakerk ». https://structurae.info/, consulté le 11/06/19.