Aperçu de Miami
Miami, FL, le 21 avril 2014. Au cours d’un voyage de six mois, d’abord en Amérique du Sud, puis aux États-Unis, nous allons, avec ma compagne de voyage, visiter Miami sans réellement savoir à quoi nous attendre. Nous arrivons en bus à l’aéroport de Miami. Là, un ami expatrié vient nous chercher dans son coupé cabriolet Audi, et nous emmène pour un tour de la ville. Premier constat : non, Miami n’est pas Miami Beach. Que ce soit au niveau géographique (la ville est sur le continent, Miami Beach est sur une île barrière), administratif (la « plage » n’est pas un quartier de Miami) ou culturel. Ce dernier point est probablement le plus important. Une fois passé l’immense pont qui sépare Miami de Miami Beach, on est très vite confronté au tourisme local : Lamborghini, boîtes de nuit, tenues de soirée – et les fameuses façades Art Déco. À Miami, on se sent déjà plus à l’aise, avec une riche émulation multiculturelle. Selon le Programme des Nations Unies pour le développement, Miami est, parmi les villes importantes, celle avec la plus grosse proportion d’habitants nés à l’étranger, 59%. Celui ou celle qui veut survivre à Miami doit absolument parler espagnol, pratiqué par 66,75% des habitants chez eux (1). Je ne suis pas féru de statistiques d’habitude, mais elles mettent en évidence l’impression que j’ai d’être dans une ville hors des États-Unis. Le soir, nous mangeons une excellente pizza dans une ancienne boutique de pneus reconvertie, un exemple du style MiMo, un mouvement architectural moderne local. Pour finir, nous visitons de nuit le quartier Wynwood, où l’on peut trouver des peintures murales par de célèbres graffeurs, à visiter absolument.
Se déplacer à pied à Miami n’est pas compliqué : des trolleys et un métro aérien (le Metromover) gratuits parcourent downtown efficacement. Notre bonne situation géographique nous permet de faire un programme de visites architecturales, à Miami puis à Miami Beach, les deux villes ayant récemment inauguré des bâtiments signés par des stars de l’architecture. On commence le menu par l’Adrienne Arsht Center for the Performing Arts, conçu par Cesar Pelli. Les portes du centre sont fermées, nous nous contenterons donc de l’atrium de la salle principale. Le volume, très haut, est serré entre une structure métallique inclinée, qui porte un mur rideau sur toute la façade ; et les courbes concentriques des balcons accédant à la salle. La blancheur de l’intérieur est criante, tout comme la simplicité des formes, toutes en rondeurs.
Le Perez Art Museum of Miami : un musée perméable à son milieu
Mais déjà, on s’ennuie dans cette froideur architecturale (et climatisée). De l’autre côté de la voie rapide surélevée qui relie Miami et Miami Beach, je suis plus intéressé par un bâtiment tout récemement livré par Herzog et De Meuron (et leur armée d’exécutants (2)): le Pérez Art Museum of Miami (= PAMM). Le nom du bâtiment a été donné en l’honneur d’un important (et riche) donateur, Jorge M. Pérez, qui a fait fortune dans l’immobilier. On peut se demander pourquoi ce nom pour un musée public, sachant que la ville et les contribuables ont plus financé le bâtiment que M. Pérez… Autour du musée, de nombreux éléments sont encore en travaux, dont un bâtiment en construction qui ne facilite pas l’accès à cause de ses palissades. La grande esplanade devant le PAMM est décorée de bancs en béton blanc moulés, plantés d’arbres et divers végétaux.
Cette mise en scène sera complète lorsque le projet urbain autour du Museum Park sera achevé. Les cones oranges nous rappellent la fraicheur des travaux : le musée a été livré le 4 décembre, mais il parait encore isolé de la ville, ce qui ne risque pas de changer sur les deux côtés routiers du terrain, ainsi que sur la façade Est, qui donne sur la baie de Biscayne. Nous passons sous la pergola. En dessous de la dalle, le parking, habilement masqué à la vue des visiteurs et accessible par un autre escalier, a l’avantage de protéger les voitures du soleil pendant la visite. Avant de rentrer dans le musée, l’art se montre, avec les animaux du zodiac d’Ai Wei Wei. Déjà, on sent une forte perméabilité du bâtiment permise par les immenses pergolas qui débordent des volumes du bâtiment. Plus surprenant encore, la végétation suspendue à la structure, conçue par Patrick Blanc. Elle est plantée sur des tubes perméables, et se compose de plantes locales, résistantes au climat particulier de la Floride (chaleur humide, ensoleillement et ouragans). Je suis étonné qu’elle fonctionne si bien, même s’il parait tôt pour juger comment le procédé va durer sur le long terme. Les pergolas et la végétation, avec le système structurel en béton armé, forment une « canopée » – c’est ainsi que les architectes la nomment. Dans une ville tropicale et chaudement ensoleillée toute l’année, créer un espace public abrité est louable. En plus de répondre aux critères d’ensoleillement, le bâtiment répond aux normes locales en terme d’ouragan, avec une structure haute et un matériau adapté : les « boîtes » surélevée qui enferment le musée sont également en béton armé pour cette raison.
L’un des leitmotivs de la communication du projet s’articule autour de l’ambition d’une architecture vernaculaire à Miami. Jacques Herzog ne se prive pas de l’évoquer dans son interview avec le site dezeen (3) :
What makes it local? I think that is local because, if we compare it with cooking, the ingredients here are really the climate, the vegetation, the water, the sun. The building should respond to all these things. This sounds simple and it is simple but it’s not easy to achieve, to not make it so boring and generic.
La réponse architecturale, en effet, me parait remplir son rôle contextuel. Consacrer sa spécificité comme « vernaculaire » parait audacieux, mais pas idiot si l’on considère la généricité de l’architecture de Miami dans son ensemble.
On resterai bien sous la « canopée » toute la journée. Une fois le musée longé jusqu’à la baie, on a une jolie vue, une fraicheur agréable et des bancs pour profiter. Le musée comprend un espace public de qualité, dans la même veine que le bâtiment : béton, bois, les plantes suspendues, et un escalier descend jusqu’au bord de l’eau. Nous nous décidons enfin à rentrer dans le musée. Le bâtiment est scénographié avec soin et en concordance avec le contenu. La première « enveloppe » de végétation et d’ombre (la canopée) permet une grande liberté de volumétrie pour les volumes d’exposition, et si on le ressent à la visite, c’est aussi une intention des architectes. La porte d’entrée, discrète, est la seule partie opaque de la façade sud. Malgré sa simplicié, tout en bois, elle est lisible sur une façade complètement vitrée. D’un point de vue de visiteur, le principe de badge plutôt qu’un ticket rend l’entrée et la sortie facilitée pour nous et pour les gardiens. J’aurais du mal à comparer ma visite avec le plan du bâtiment, tant on se laisse facilement happer par la qualité des expositions, organisées en petites thématiques.
Il apparait, à la lecture du plan, que les différentes salles ont des fonctions différentes, quatre au total : « Overview », « Focus », « Project » et « Special Exhibition. » Les trois premières sont plus petites et agencées en rythme. Les salles d’exposition spéciales sont plus grandes, moins ouvertes et plus flexibles dans leur emploi. Ce n’est pas l’agencement des salles qui m’impressionne le plus, mais davantage la flexibilité et la simplicité des espaces. Les rainures des planchers collaborants permettent de placer librement les tubes fluorescents. Si d’autres éléments donnent l’impression de sur-mesure (la végétation, le parvis et ses bancs moulés), on a là l’impression d’une sobriété et efficacité du dispositif : on ne voit pas les câbles, et pourtant ils sont accessibles ; la lumière est bien répartie, et pourtant il ne s’agit que de tubes fluorescents.
La place du bois dans l’ouvrage casse toute idée de « white cube », qui ne semble pas approprié pour la collection présentée. Les œuvres, très diverses, tournent autour de l’Amérique du Sud, de l’altérité et la diversité propres à Miami. C’est l’occasion de découvrir des artistes dont je n’ai pas entendu parlé avant, comme David Bade, João Gilberto, Rachelle Mozman ou Frances Gallardo. Au sol, le parquet donne l’impression de ne pas être dans un musée contemporain. Le détail est poussé jusqu’aux grilles de ventilation, en bois aussi. Une fois parcourues les salles du rez-de-chaussée, on arrive dans un auditorium ouvert. Avant le PAMM, je n’avais jamais vu ce procédé : un double auditorium qui fait office d’escalier, permettant aux visiteurs de s’assoeir, de regarder une projection permanente. Ainsi, l’espace est utilisé en tous temps, et pas seulement au moment des conférences. Les architectes s’en expliquent dans le numéro 529 de A+U.
Our idea was to avoid isolating such events that would remain unused for most of the time. At PAMM, events in preparation are visible. When the space is not actively used for events, it is used by visitors and staff for individual readings, introductions to groups and the like.
Cette idée donne envie de la reproduire à l’envi dans des projets, rien de plus ennuyeux en effet qu’un espace cher qui ne sert à rien. On pourrait en dire autant des boîtes fermées qui servent de théâtre, même si évidemment la typologie n’est pas la même. En enfilade de ces gradins, il y a d’abord un espace éducatif, puis un auditorium où sont diffusées des vidéos, sur le mur. Au cours de la montée, on peut se laisser tenter par une petite pause assise, bien agréable dans un musée.
À partir du deuxième auditorium/escalier/gradin, le sol change de matière, passant du bois au béton. Mais si la sous-face des planchers est en béton « brut », le sol est ici en béton ciré, de sorte que sol et plafond se distinguent par leur texture. Les murs sont blancs dans les salles d’exposition, bruts de décoffrage ailleurs. Chaque type de salle a ainsi sa texture particulière, et donc son ambiance lumineuse propre. Les architectes l’expliquent ainsi : le béton est doux et brillant quand il est adjacent aux vitrages ; quand il est à l’extérieur, il est rugueux, avec des granulats plus épais.
Le plan orthogonal du musée n’empêche pas les « surprises », à savoir les espaces entre les salles d’expositions. Une galerie sans œuvres, ouverte largement (les baies sont partout en pleine hauteur), permet de profiter de la vue sur la partie ouest de l’îlot, donc côté entrée. Deux alcôves, aux assises généreuses, permettent probabalement un usage de lecture, de repos, ou encore réunion de groupe pendant une visite, etc. Cela renforce l’idée d’un musée qui n’est pas seulement un musée, mais un espace de détente, à l’intérieur comme à l’extérieur. Ce qui fait la qualité de ces espaces, c’est l’immense pergola qui évite la surchauffe derrière les baies vitrées. Ainsi, on a accès au meilleur des deux mondes : la lumière, la vue ; et la protection contre les rayons directs, qui permet en plus d’économiser de l’énergie avec la climatisation. La perméabilité du bâtiment n’est pas qu’une intention sur le papier, elle est sensible. Je retrouve mes sensations de visiteur dans l’explication des architectes.
L’approche du bâtiment, que je qualifierais d’écologique(4), se retrouve aussi dans la collection présentée, qui fait appel aux racines latines de la ville, en donnant une place intéressante aux questions indigènes et ethniques. Par ailleurs, une salle est dédiée aux arts calligraphiques et typographiques, chose assez rare pour être remarquée. Dans l’ensemble, le musée a une dimension parfaite pour être visité en un après-midi, il n’y a ni trop, ni trop peu d’œuvres et le parcours est agréable, car émaillé d’événements architecturaux : les espaces intermédiaires, contemplatifs ; et l’escalier/gradin, aux vidéos hypnotisantes. À mon sens, ce bâtiment est une réussite, que ce soit au niveau du fond comme de de la forme. Sur la terrasse au bord de la baie, on peut méditer ce qu’on vient de voir, et apprécier une brise bienvenue pour contempler la vue et, pourquoi pas, s’assoupir.
Quelques curiosités supplémentaires
À côté de ce musée flambant neuf, le Centre culturel de Miami-Dade conçu par Philip Johnson fait pâle figure. Sorte de pastiche de villa méditerranéenne, il a l’inconvénient d’être fermé quand nous passons devant. Ce qui choque dans le quartier, c’est la misère ambiante. Je n’en ai jamais vu autant qu’aux États-Unis : junkies, alcooliques et fous parcourent les rues à la vue de tous. Est-ce l’indifférence générale qui les a mis dans cet état, ou un système déséquilibré qui ne donne pas sa chance au marginal ? Je ne pourrai pas répondre à cette question. Toujours est-il que, pour terminer ce bref aperçu de l’architecture de Miami, il y a le curieux Bacardi Building, un exemple percutant du style MiMo. Probablement, son isolement par rapport à d’autres bâtiments plus hauts le rend plus singulier, mais on ne peut rater ses façades aveugles couvertes de faïences. Le bâtiment, décollé du sol, donne une impression d’élancement. En haut, le couronnement cache l’accès à l’escalier sans vraiment le cacher : il reste visible à travers une grille. Raffiné, le bâtiment rappelle à la fois le meilleur du modernisme et la légereté d’esprit d’une architecture locale décomplexée. C’est sur le crépuscule derrière le Bacardi Building que s’achève ma journée sur les traces des stars muettes de Miami.
Bibliographie
« Herzog & De Meuron, Perez Art Museum Miami », A+U, N°529, Octobre 2014, p94-107
HERZOG, Jacques, DE MEURON, Pierre, Herzog De Meuron 2005-2013, Madrid, AV Monografias, 2012, p194-201
FREARSON, Amy, « Herzog & de Meuron’s Pérez Art Museum creates new « vernacular » for Miami », Dezeen, 2013 (http://www.dezeen.com/2013/12/03/herzog-de-meuron-perez-art-museum-miami/)
Hadrien Hartgers • Miami, FL • hadrien[point]hartgers[at]laposte[point]net
Toutes les photos ont été prises par Jumaï et moi-même pendant notre voyage. Elles sont visibles sur notre album flickr : https://flic.kr/s/aHsjZYgXS1
(1)On peut retrouver ces statistiques sur cet article : https://en.wikipedia.org/wiki/Miami#Demographics (↑1)
(2)La liste complète des collaborateurs est lisible dans le numéro 529 de la revue A+U, page 96.(↑2)
(2)La visite sur le site Dezeen, avec l’interview de Jacques Herzog, peuvent être trouvées sur le lien http://www.dezeen.com/2013/12/03/herzog-de-meuron-perez-art-museum-miami/ (↑3)
(4) »Écologique » au sens où elle prend en compte son milieu et les éléments qui l’entourent, comme on peut le lire dans la définition du mot « Écologique » du CNRTL : http://www.cnrtl.fr/definition/%C3%A9cologique(↑4)
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