Janvier 2015, c’est la première fois que je me rends en Asie. Et ma destination sera… Singapour !
Malgré la fatigue et le décalage horaire, l’arrivée dans cette mégalopole me met d’emblée plein la vue. Nous résidons pour ces quelques jours au cœur même de la ville, sur le bord de la Marina Bay. Autour de nous, une skyline époustouflante. On dirait que tous ces buildings se concurrencent, en forme, en matérialité, en présence. Ici, l’architecture est le faire valoir d’une mégalopole internationale contemporaine. L’histoire de Singapour est en effet assez récente compte tenu de son impact mondial actuel :
La chronologie de l’expansion de Singapour débute en 1819 lors de sa découverte par le britannique Sir Stamford Raffles. Voyant le potentiel de ce territoire presque sauvage, il y installe le comptoir de la Compagnie des Indes Orientales. Après avoir été un carrefour commercial pendant près d’un siècle, puis l’objet de nombreux conflits durant plusieurs décennies, Singapour déclare finalement son indépendance le 9 aout 1965. Ravagé, presque sans ressource, personne ne parie alors sur l’avenir de ce pays. C’est de cette frustration qu’est née la politique volontariste et visionnaire de Singapour. Aujourd’hui, le pays occupe une place importante dans l’économie et le commerce en Asie.
Dans ce cadre, on peut comprendre que l’architecture joue de nos jours un rôle important dans la démonstration de la puissance économique de la ville. Véritable façade, cette skyline tourne résolument Singapour vers le futur. Toujours plus haut ?
Je ne peux pas dire que Singapour m’aie touchée par son côté chaleureux. Le contact avec les habitants n’est pas toujours facile, nous croisons surtout des business men et des touristes. Les rues bordant la Marina sont froides et impersonnelles. Beaucoup d’hommes et de femmes d’affaires marchent d’un pas rapide, téléphone à la main. De façon à présenter au monde l’image d’une mégalopole moderne, la propreté est également de rigueur. Les chewing-gums sont interdits en ville. Au sol, pas un mégot, ni un papier ne traine. Les amendes (1000 euros par déchet) sont suffisamment dissuasives pour que l’envie de fumer loin des cendriers nous passe. En plus ici, tout est filmé. Attention aux écarts ! A mon arrivée, j’en fais les frais : un malheureux problème de badge m’a valu une bonne réprimande au Art Science Museum. Bienvenue !
En effet, si je suis à Singapour pour quelques jours avant de m’envoler pour la Birmanie, c’est avant tout pour assister à la préparation et à la performance du collectif franco-japonais Composit dans le cadre des Art science Late du Art Science Museum de Singapour.
Ce musée en forme de lotus, faisant partie du complexe Marina Bay Sands, a été construit en 2011. Le Marina Bay Sands, créé par le groupe américain Las Vegas Sands, est un ensemble immobilier comprenant un casino, un hôtel et un musée. L’ensemble de ces constructions aurait coûté 8 milliards de dollars. C’est aujourd’hui une façade importante de la ville en tant que destination de tourisme et une manne financière énorme.
Ce musée a été réalisé par l’architecte Palestinien Moshe Safdie. Ce dernier est surtout connu pour la réalisation des logements « Habitat 67 » à Montréal, lors de la célèbre Expo 67. Plus récemment, il a réalisé plusieurs opérations de musées, comme le Musée de la civilisation de Québec, ou l’extension du Musée des Beaux-Arts de Montréal. L’architecture de Moshe Safdie se caractérise par des formes géométriques très franches venant créer une rupture avec l’environnement immédiat. Néanmoins, un travail de finesse s’inscrit quant au choix des formes sur ce qu’elles expriment dans un contexte et une culture particulière. La philosophie de l’architecte est de composer avec l’humain dans le but d’exprimer une représentation physique d’une civilisation. Il se décrit lui-même comme moderniste.
« Architecture should be rooted in the past, and yet be part of our time and forward looking ».
Moshe Safdie
Le Art Science Museum se démarque des autres bâtiments de la Marina Bay par sa forme atypique. Les courbes blanches de ce bâtiment forment une sorte de plante étrange dans le paysage de Singapour. Légère, la forme se détache de la marina et semble presque flotter au-dessus de l’eau. Sheldon Adelson, le président de Las Vegas Sands décrit ce musée comme étant « la main accueillante de Singapour ».
Ce bâtiment peut être perçu en 2 parties distinctes. D’un côté, le sous-bassement vitré, rattaché au sol et cerclé d’un bassin de nénuphars. De l’autre, bien plus spectaculaire, la structure en forme de fleur composée de 10 pétales qui s’élèvent vers le ciel. Ces pétales, ou doigts, comme certains les appellent, se courbent vers le haut à différentes hauteurs. Chacune possède en son extrémité une ouverture vitrée créant un puits de lumière naturel dans chacune des galeries.
La structure asymétrique du bâtiment s’élève à 60 mètre du sol. Elle est composée d’un treillis métallique complexe, dont la maquette peut être observée à l’intérieur du musée. L’ensemble des pétales est soutenu par 10 colonnes, et relié au sol par un « diagrid ». Le résultat de cette reprise de charges est efficace, et permet de donner au bâtiment une impression de légèreté.
Dans une volonté de l’architecte de créer des bâtiments durables, l’eau de pluie est récupérée au centre du bâtiment, ruisselant à travers l’oculus du « bol » que forme le toit pour atterrir quelques mètres plus bas dans un bassin. La collecte de cette eau sert ensuite pour les sanitaires du musée.
L’enveloppe du bâtiment est quant à elle composée réalisée par un bardage en polymère (Fiber Reinforced Polymer FRP), généralement utilisé en architecture navale. Ce matériau permet d’obtenir un ensemble sans jonctions apparentes, ce qui affirme l’apparence de légèreté du bâtiment.
Le Art Science Museum comporte 21 espaces d’exposition pour une surface totale de 6000 m². La galerie d’exposition permanente est divisée en trois segments : Curiosity-Inspiration-Expression. Le reste du bâtiment est consacré aux expositions temporaires.
Un vendredi par mois, le musée propose également de découvrir les Art Science Late, performances ouvertes à tous dans le but de promouvoir des artistes proposant un rapport entre science, technique et art.
C’est ainsi dans ce cadre privilégié au cœur de la mégalopole Singapourienne que va se dérouler la performance du groupe Composit :
Composit est un collectif artistique franco-japonais initié par l’artiste plasticien Shunsuke François Nanjo et composé du musicien Nicolas Charbonnier, et des ingénieurs Christophe Nanjo et Guillaume Léger. L’installation Hypermnesia, s’est réalisée en collaboration avec la danseuse Eisa Jocson.
Le groupe Composit travaille maintenant depuis quelques années sur des installations permettant l’interaction entre le spectateur, l’espace, et l’œuvre. Ainsi, le travail des ingénieurs sur différents types de capteurs allié à un processus de création artistique amène une véritable immersion dans chacune des installations.
Hypermnesia, la nouvelle pièce réalisée après un an de travail, est un pole dance monté sur un stage lumineux, et sur lesquels ont été greffés des capteurs. Ces derniers permettent de récupérer de manière numérique des données sur l’action de la danseuse sur le pole et sur le stage (partie inférieure). En parallèle, le musicien Nicolas Charbonnier a composé une série de pistes musicales et de sets lumineux. Lorsque la danseuse interagi avec le pole, les pistes sonores et lumineuses se mettent alors en place, changent, se superposent. Par exemple, lorsque la barre tourne, des variations s’opèrent sur une même piste sonore. L’interaction avec le pole devient le support de création musicale.
Le collectif propose ici une vision intéressante du rapport entre danse et musique. En effet, plutôt que de rester dans la conception traditionnelle de la danse se créant à partir de la musique, c’est ici les mouvements et l’interprétation de la danseuse qui sont sources de musique.
Le travail du collectif Composit n’est pas forcément facile compte tenu des distances géographiques de ses différents membres (Paris, Toulouse, Tokyo). Ainsi, la pièce n’avait jamais été assemblée avant l’arrivée au musée à Singapour. Malgré le temps de préparation très court en compagnie de la danseuse (5 jours), l’ensemble s’est révélé opérationnel.
Vidéo réalisée par le musée lors de la première performance de la soirée :
http://livestre.am/52x8k
Les performances ont été bien reçues par les membres du public, captivés par l’interprétation de la danseuse et curieux de voir la technique affiliée au pôle. Certains posent des questions, d’autres s’approchent de la pièce pour tester les capteurs lumineux.
Le musée ferme ses portes. Après les deux performances de la soirée, on remballe le tout ! L’ensemble du pôle et des parties techniques, chargés dans une caisse, iront maintenant à Paris jusqu’à la prochaine performance, ailleurs dans le monde. A peine le temps de souffler, de dormir pour les membres de Composit, et nous repartons. Direction Yangon, en Birmanie.
Camille TOULLEC _ Voyage janvier-février 2015
Références :
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