« … Débarquant là, le flot m’eût lancé sur la côte,
Jeté contre les grands rochers, un lieu sans charme ;
Mais je revins en arrière à la nage, pour enfin
Atteindre un fleuve : l’endroit me parut convenable,
Exempt de toute roche et à l’abri du vent.
Je m’écroulai en reprenant haleine, la nuit céleste vint. »

L’odyssée, chant VII
(Ulysse, conteur envoutant bien que menteur notoire, décrit son arrivée à Corfou)

 

Contrairement à Ulysse, c’est par la voie des airs que ma famille et moi arrivons à Corfou, pour une semaine de vacances. Je n’aime pas trop regarder des images des endroits où je voyage avant d’y aller pour ne pas gâcher l’authenticité de mes sentiments lors d’une découverte. Tout ce que je savais sur l’île grecque était sa position géographique, le fait qu’elle soit une île, qu’elle soit grecque, et que la princesse Sissi y avait fait construire un palais. Je m’attendais à voir beaucoup de blanc, du bleu, la mer le soleil, mais pas du tout à ce que j’ai finalement vu. Corfou est une île pleine de surprise.

De par sa position stratégique dans la mer Méditerranée, entre l’Albanie, la Grèce et l’Italie, l’île de Corfou a été conquise par de nombreux pays avant de devenir grecque. Corfou fut tout d’abord colonisée par les Corinthiens, qui fondèrent alors sa ville principale : Corfou. Puis vinrent les Ducs d’Anjou du Royaume de Naples, les Vénitiens et leur Cité des Doges, puis la jeune République Française, les Russes, à nouveau les troupes de Napoléon, les Britanniques, les Allemands, pour finalement que l’île devienne grecque.

Le paysage urbain de l’île est donc assez contrasté, et m’a fait tout d’abord penser à Venise, où j’avais passé quelques temps l’année précédente. Ce qui semble logique puisque l’île a été occupée par les Vénitiens pendant plus de quatre siècles. En se promenant un petit peu, on découvre petit à petit la richesse de ce mélange de cultures. Se mélangent ainsi un ancien temple hellénique, le Palais de la princesse Autrichienne, des forteresses vénitiennes, de petits villages d’une poignée d’habitants à moitié en ruine, et des paysages surprenants comme le Canal d’amour.

La ville de Corfou

Vue sur la ville de Corfou, prise le 23 juillet 2016 à 11h21

Pour notre première balade nous avons décidé d’arpenter la ville de Corfou, celle qui se trouve dans le creux du « croissant » (la forme de l’île). C’est le point stratégique de l’île, face à l’Albanie et la Grèce. Là se trouvent les forteresses vénitiennes : l’ancienne citadelle et le Fort Neuf. Nous arrivons dans la ville par les terres, et ces édifices se dessinent au loin. En se dirigeant vers eux, on découvre la ville. J’ai l’impression de voir des petits morceaux de Venise dans une ville beaucoup plus vide. Tout est moins dense, plus espacé, moins chaleureux. Au fur et à mesure que l’on approche du port, les rues deviennent plus sinueuses, plus fraîches sous le soleil. On cherche notre chemin pour pouvoir monter dans le Fort Nouveau, et plusieurs fois on se perd, on arrive dans des propriétés privées où on nous interpelle pour nous demander de partir en grec ou en tentatives d’anglais. On finit par trouver l’entrée et on commence à grimper les allées de pierres. On découvre un fort abandonné, de la mousse et de l’herbe qui pousse entre les pierres. La visite n’est pas si intéressante du point de vue architectural pour le bâtiment en lui-même, mais la montée révèle la ville qui s’étend vers l’Ouest depuis le port jusque dans les terres. Les teintes de rouges, vieux rose, orange, vert, jaune sale ont remplacé le blanc et le bleu que je m’attendais à trouver, mais c’est à ce moment que je me rends compte de la richesse de ce paysage. Du côté Ouest, on aperçoit la vieille citadelle, qu’on visitera l’après-midi même.

Rassasiés de Gyros Pita, nous parcourons maintenant un dédale de façades aux couleurs chaudes et de campaniles mélangées à d’épais remparts de pierre. Nous grimpons dans le fort, les escaliers tantôt de galets, tantôt de pierres polies par de nombreux passages, transpirants sous la chaleur pesante, jusqu’au point culminant où se dresse une croix chrétienne. La vue à cet endroit est à couper le souffle. En contrebas, on aperçoit ce qui ressemble à un temple grec, à la colonnade dorique, qui s’appelle l’Église Saint-Georges. Je la trouvais très jolie vue d’extérieur j’en ai fait un dessin. Je fus surprise en entrant à l’intérieur de voir de chaque côté, sur les parois latérales, de nombreux percements, rectangulaires proches du carrés, encadrés de rideaux de velours rouge. Pas de colonnades, un plafond plat, bleu. C’est en fait une église orthodoxe construite par l’armée britannique en 1840. En sortant, on passe devant de nombreux canons, qui ont tous servis à différentes armées, les anglais, les français et les italiens

Pour retourner à la voiture et continuer nos aventures, on longe l’esplanade Spianada, une grande rue dégagée surmontée d’arcades à la française, construite sur le modèle de la rue Rivoli à Paris. Elles ont été dessinées par F. de Lesseps au moment de la colonisation de l’île par les troupes de Napoléon Bonaparte. Accompagnés par les Corfiotes, heureux de la victoire des Français, ils brûlèrent le Libro d’Oro qui se tenait au même endroit à ce moment, où les vénitiens avaient rédigé une liste des nobles de l’île. C’est ce qui a donné le nom Liston aux arcades. On se trouve finalement face au palais Saint-Michel et Saint-Georges, construit par les Britanniques. Première journée surprenante et fatigante, la plus mémorable de mon séjour là-bas.

Achilleion

Vue du jardin du palais Achilleion, prise le 24 juillet 2016 à 12h13

Elisabeth d’Autriche (1837-1898), alias Sissi, se fait construire un palais, en l’honneur du héros Achille, à Corfou, où elle se retirera en 1890 pour se mettre à l’écart du monde. En 1907, le chef militaire allemand Guillaume II d’Allemagne le rachète. Il sera finalement occupé par les Français et les Serbes qui en feront un hôpital militaire pendant la première guerre mondiale. Aujourd’hui le palais est un haut lieu touristique de l’île, qu’il n’est pas très agréable de visiter. Mais ma mère et moi ayant lu les romans sur la célèbre impératrice nous tenions à voir cet endroit ! Dessiné par l’architecte italien Raffaele Caritto, l’édifice se déploie sur 200 000 m² en trois niveaux, et comprend 128 pièces. En façade, le premier niveau est devancé d’une colonnade dorique, qui soutient une grande terrasse. Les amateurs de mythologie grecque peuvent s’en donner à cœur joie pour reconnaître le statuaire : Hermès, les muses, Achille, Zeus et Héra… L’intérieur est reconverti en une sorte de musée sur le Kaiser et Sissi. Élément architectural notoire, dans ce bâtiment néoclassique : en entrant on se retrouve face à un escalier monumental, inspiré de celui de l’opéra Garnier. Autour du bâtiment se développe un jardin luxurieux de palmiers et cyprès entre autres, qui met en scène une gigantesque statue de bronze d’Achille.

Canal d’amour

Lors de nos marches dans la ville de Corfou, je ne me suis pas vraiment rendue compte de l’afflux touristique sur l’île. J’ai commencé à comprendre au palais de l’impératrice, mais alors le canal d’amour, nous n’étions pas prêts à voir ça. Encore une surprise. Un endroit magnifique au Nord de l’île, le Kanali tou Erota. C’est une crique où l’érosion a lissé la roche jusqu’à créer un petit canal. Le monde qu’il y avait là bas était incroyable. Des couples avec des perches à selfies se prenaient en photo de partout. Les alentours du site étaient recouverts de terrasses avec des piscines et des bars. On est donc partis à pied se promener le long de la côte, à travers la végétation abondante. Je recommande cette promenade plutôt que le canal lui-même.

Palia Perithia

Une maison abandonnée à Palia Perithia, prise le 25 juillet 2016 à 13h56

Un peu déçus du canal d’amour, on a écumé les plages les jours suivants. Je vous passe ces endroits là, pour un souci de concentration et de maintien du moral. Un après-midi, on se laisse guider par mon oncle qui voulait trouver des géocaches (le géocaching est une sorte de chasse au trésor sur toute la planète, à laquelle on peut accéder grâce à une application). On se retrouve donc à 400m d’altitude, au village mystérieux Palia Perithia. En se promenant on découvre des habitations en ruine, des rues désertées. Seules quelques tavernes sont ouvertes. On était les seuls dans la ville, avec un couple de touriste hollandais, qui eux aussi cherchaient les caches. C’était un moment assez spécial. J’avais l’impression d’être dans un film quand je me perdais un peu toute seule. Il y avait de la poussière partout, les maisons de pierres se délabraient sous mes pas, on avait peur de passer certains planchers en bois qui semblaient prêts à s’effondrer. Cet endroit est le seul restant des anciens villages de montagnes de Corfou, datant du XIVe siècle. On pense qu’il a été habité par environ 1200 personnes, qui se cachaient là bas des attaques des pirates.

L’île des surprises

Corfou, le croissant surprise. Un titre qui m’est venu au fil de mon récit en voyant que j’utilisais beaucoup le champ lexical de la surprise justement. Au final cela résume bien mon séjour. Corfou est au carrefour des civilisations, occidentales et orientales. On pourrait la considérer comme un symbole d’une mer méditerranée ouverte, tumultueuse dans ses conquêtes. L’île attire malheureusement beaucoup les touristes, c’est le problème des endroits remarquables. Ce n’est pas pour rien que Ulysse et Nausicaa sont tombés amoureux là bas !

 

Manon Dubreil, voyage de l’été 2016
Photographies de l’auteur

 

Bibliographie

Calveyra, Arnado, Le cahier grec : récit poétique, Actes Sud, 2010
Sarmand, Thierry, Corfou, « 1716. La dernière victoire des Vénitiens », Historia, 01/07/2016, p.72-75
Le Gall, Jean-Jacques, « L’île mosaïque »,Télérama, n°3516, 31/05/2017, p.48, 49
Dessaix, Robert, Corfou : un roman, Trouville sur mer : Le Reflet , 2002
UNESCO, « Vieille Ville de Corfou », (en ligne) accessible à https://whc.unesco.org/fr/list/978